Méditation : El-Roï, « Toi au moins, tu me vois ! » (No 9)

Évangile du mardi 5 octobre (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Une femme nommée Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part » Lc 10, 38-42

En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

Méditation

La liturgie d’aujourd’hui nous invite à la maison de Marthe et Marie, dans le village de Béthanie. Comme nous le connaissons bien, même trop, ce passage de l’Évangile de Luc !

Alors, pour dépasser la fréquente lecture qui oppose injustement les deux sœurs, qui confronte la contemplation de Marie « assise aux pieds du Seigneur » à l’action de Marthe « accaparée par les multiples occupations du service », entrons chez elles avec Jésus ! Entrons avec le Maître, l’Ami, l’Hôte, pour nous laisser toucher en profondeur par ce que Lui, aujourd’hui, désire nous dire, à chacun personnellement.

Assise près de Marie et de Jésus, j’ai été frappée par la question que Marthe lui adresse : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? » Cette question spontanée de Marthe m’a rappelé certaines de ces expressions qu’on lâche parfois si vite aux autres, dans nos relations quotidiennes, et qui laissent entrevoir un jugement, même infime sur eux. Dans les mots de Marthe j’ai cru deviner l’écho d’une « fausse image » de Dieu, peut-être très inconsciente dans son cœur, mais révélée tout à coup par cette question si directe. « Seigneur, ça ne te fait rien que … ? »  Cela ne te fait rien … Comme si Jésus ne se rendait pas compte de son service pour l’accueillir chez elle, comme s’Il se désintéressait d’elle et de tous les efforts pour bien le recevoir.

Combien de fois, avouons-le, de telles pensées nous traversent ! Comme le serviteur dans le livre d’Isaïe (Is. 49,4) : « Et moi, j’ai dit : « C’est en vain que j’ai peiné, pour rien, pour du vent j’ai usé mes forces. » » Personne ne voit ce que je fais, ça ne sert à rien ! Dans une homélie[1] le Pape François a un jour exprimé cela très concrètement : « Entre nous, dans nos familles, l’une des choses qui fait le plus mal, c’est quand nous nous entendons dire : Tu ne te soucies pas de moi ? C’est une phrase qui blesse et déclenche des tempêtes dans le cœur. Cela aura aussi touché Jésus, car Lui, plus que personne, tient à nous. » Oui, notre Dieu est le Dieu devenu si proche en Jésus, tellement sensible à nos vies, à nos moindres gestes d’amour, comment pourrait-Il se désintéresser de nous, des « Marthe » que nous sommes ?

Mais avec Lui, si patient avec nos faiblesses, essayons de comprendre ce qui se passe dans le cœur de Marthe, dans les nôtres ? Ce doute, même infime soit-il, sur l’autre, sur mon frère, sur Dieu lui-même, ne viendrait-il pas d’une blessure intérieure non encore guérie ? Parce que finalement, le doute profond est celui que nous portons sur nous-mêmes. « Ma vie, mon service, mon amour n’auraient-ils aucune valeur ? Quelqu’un les voit-il au moins?»

Je me souviens de ce nom qu’une païenne a eu l’audace de donner à Dieu et de l’appeler El-Roï : il s’agit d’Agar, la servante égyptienne d’Abraham. En plein désert, Agar perdue, abandonnée et désespérée, se tourne vers Dieu et lui donne le nom de « Toi au moins, tu me vois ! »

Oui, Dieu au moins me voit ! Dieu ne me perd pas de vue, jamais ! Cette vérité essentielle de notre foi, l’Esprit ne cesse de nous la murmurer dans le cœur ! 

« Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. » Dans les mots de Jésus en réponse à Marthe on devine toute sa tendresse, sa compréhension et son amour pour elle. Jésus est libre intérieurement, Il ne se sent aucunement blessé ni attaqué par le jugement de Marthe sur Lui. Il ne lui répond pas en justifiant qu’au contraire Il a souci d’elle. Non, Jésus va à l’essentiel. « Marthe, toi aussi tu as besoin de m’écouter pour te recevoir de moi, pour ne plus jamais douter de la valeur de ta vie, de ton offrande, de ton service. Moi, je te vois et je veux te le dire, te le faire expérimenter. Viens, assieds-toi aux côtés de ta sœur Marie, viens et écoute ce que j’ai à te dire. Ton cœur en a tellement soif. Viens ! Toi aussi tu as droit à la meilleure part, elle ne te sera pas enlevée à toi non plus. Ne t’en fais pas, ensuite nous préparerons ensemble le repas… »

Avec Marthe et Marie, choisissons nous aussi la « meilleure part » pour laquelle nous avons été créés. Notre service fraternel de ce jour en sera comme arrosé, et deviendra « une source jaillissante dont les eaux ne tarissent pas » (cf. Is. 58,11).

Laurence Vasseur

[1] Homélie du 27 mars 2020, lorsqu’il était seul sur la place Saint Pierre de Rome, priant pour le monde entier plongé dans la pandémie du Covid-19.

Complément au texte

« El Roï ».  Mais de quoi s’agit-il ? Quel est ce mot mystérieux ?

Il est une bonne nouvelle ! Tellement bonne que je souhaite que nous appelions tous notre Dieu comme cela !

 Ce nom, c’est une femme de la Bible qui le lui donne. Une femme, une païenne, une égyptienne qui ne sait pas qu’en son temps, personne n’avait le droit de donner un nom à Dieu ; donner un nom à quelqu’un, c’est avoir un grand pouvoir sur celui que l’on nomme ! Demandez-le à tous les enfants qui souffrent du prénom bizarre que leur ont donné leurs parents et qu’il faudra supporter toute leur vie !

Or, une païenne a eu l’audace de donner un nom à Dieu et de l’appeler El-Roï : il s’agit d’Agar, la servante égyptienne d’Abraham.

On sait que Sarah, la femme d’Abraham, était stérile. Ainsi que la coutume l’exigeait – il fallait avoir à tout prix une descendance pour survivre au désert -, Sarah offre sa servante Agar à son mari. Mais elle devient tellement jalouse de sa servante enceinte qu’elle exige d’Abraham qu’il la chasse dans le désert. Ce qu’Abraham finit par faire.

Et là, près d’une source « qui est sur le chemin de Shur » en plein désert du Néguev (Gn 16, 7-13), Agar, perdue, abandonnée et désespérée, se tourne vers Dieu et lui donne le nom de « Toi au moins, tu me vois ! »

Quelle bonne nouvelle pour nous tous, à l’heure où chacun pourrait croire, en voyant ses infidélités, que Dieu ne le voit plus ! Si, il nous voit et nous espère !

+ François Garnier, Archevêque de Cambrai

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