No 162 – série 2024-2025
Évangile du lundi 3 mars – 8e semaine du temps ordinaire
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Va, vends ce que tu as. Puis viens, suis-moi » (Mc 10, 17-27)
En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Méditation – Le regard d’amour
Comme nous le connaissons bien, l’Evangile du jeune homme riche. Peut-être trop même! Cette rencontre douloureuse de Jésus qui “se mettait en route quand un homme accourut” vers Lui – ou plutôt “des-encuentro” (nous n’avons pas de mot en français pour dire “une rencontre qui échoue et se termine en séparation”) – aura-t-elle un message particulier pour chacun de nous ce matin? C’est ce que nous voulons demander à l’Esprit Saint, sûrs qu’Il “vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables.” (Rm 8,26) Si nous pouvions laisser monter en nous son murmure, pour – avec Lui – relire les questions qui nous habitent, les désirs qui frappent à la porte de notre coeur, telle est ma prière.
Jésus était en route. Il reprenait sa marche missionnaire quand tout à coup ce jeune homme se présente devant Lui et tombe à genoux. Le jeune homme ne se présente pas devant Jésus doucement comme le poète, contemplatif, ni comme les pharisiens si souvent avides de le mettre à l’épreuve (cf. la méditation du 17 février). Son approche est rapide – “il accourt” -, pressée, tant il est lui-même ‘pressé’ par une question qui semble occuper tout son espace intérieur. Sans préambule, il la lance à Jésus: « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Que dois-je faire? Combien de fois cette question nous opprime, nous aussi. Si nous pouvions avoir à chaque moment de choix, de prise de décision, la réponse claire et précise de ce que nous devons faire, tout serait tellement plus facile!
“Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » La question que le jeune homme Lui pose, Jésus la reçoit. Il ne rejette pas la demande sincère de son coeur inquiet – ni du nôtre -. Même si dès le premier instant Il a deviné tout le ‘non-dit’ enfoui derrière ces quelques mots, la demande profonde cachée dans son coeur, Jésus l’écoute et lui répond en rappelant tout simplement les commandements.
« Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Réponse incroyable d’un parcours sans faute. “Tout, observé, depuis ma jeunesse”. Quel poids sur ses jeunes épaules, toute cette observance! Quel poids et quelle insatisfaction, pourtant … La question posée reste là, comme ‘suspendue’ entre eux deux. Le récit s’arrête. On retient son souffle.
“Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima.”
Depuis qu’Il l’a vu s’approcher, tomber à genoux,
Jésus a lu dans ce coeur inquiet son seul besoin essentiel:
être aimé, être reçu.
Alors, doucement, Il posa son regard sur lui et l’aima.
Verset central de cet Evangile – et de tout l’Evangile!
Unique ‘bonne nouvelle’: tu es aimé(e),
Dieu te “garde comme la prunelle de son œil” (Dt 32,10) -.
“Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima.”
Parole sans mot. Parole qui ne se dit plus que dans un long regard d’amour. Combien de temps dura-t-il, ce regard? L’Evangile ne nous le dit pas. Ces yeux de Jésus remplis d’une tendresse infinie a-t-il pu les perçevoir, sentir sur son visage toute leur compassion? Ou sont-ils, eux aussi, restés comme ‘suspendus’ entre eux?
Et puis Jésus brise le silence avec ces quelques mots: « Une seule chose te manque”. ‘Une seule chose te manque’, c’est peut-être la pire des choses ou en tout cas la plus difficile à entendre pour une personne légaliste (“que dois-je faire?”), pour une personne qui cherche toujours ‘à faire mieux’ pour éviter la désapprobation ou la honte. Mais Jésus ose ce pas énorme : accompagner son interlocuteur dans son expérience du manque. Il ose parce qu’Il sait qu’Il est le seul qui peut combler ce vide permanent, tout remplir de sa plénitude, de son amour, de sa misérciorde.
« Une seule chose te manque” ce n’est pas ‘faire encore plus’ mais ‘être’ en présence de Celui qui pose son regard d’amour et d’infinie tendresse sur toi. Apprendre à vivre avec Lui, libre de tant d’exigences que tu t’imposes à toi-même. Le désir profond enfoui dans la question du jeune homme n’était-il pas celui-là? Celui de recevoir la Vie avec un grand ‘V’, la vie en abondance (cf. Jn 10,10), celle que Dieu a promise, celle qui donne sens à toute l’existence et à chaque instant? Cette “eau vive” dont parlait Jésus avec la samaritaine au bord du puits: “celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle.”
« Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Ah, si le jeune homme riche avait pu rencontrer la samaritaine! S’il avait pu apprendre d’elle à ‘tout lâcher’ comme elle – “la femme, laissant là sa cruche …” (Jn 4,28) -, à se laisser regarder et parler avec Jésus, tout simplement – « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait.” (Jn 4,29) -. Il aurait alors pu comprendre cette parole – « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » – la comprendre comme une parole de libération et non pas comme une exigence de plus.
Va, vends ce poids d’exigences, cette insatisfaction qui ronge ton coeur. Va, vends tes biens matériels, mais surtout tes dons, partage-les, donne-toi. “Votre don n’est pas un hasard, c’est une vocation. Répondez avec générosité, avec passion, avec amour.”[1] écrivait récemment le pape François aux artistes. “Alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi.» Viens, vis ta vie avec Moi, entre dans le Royaume. C’est cela en fait “être sauvé”.
“Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.” Jésus le vit partir la tête basse. L’Amour n’oblige pas, jamais. Il ne peut qu’inviter … “Dieu ne peut que donner son Amour”[2] aimait redire Frère Roger de Taizé.
Dans une lettre que le Pape a écrit l’été dernier, il dit ceci, en parlant de la littérature: “Ecouter la voix de quelqu’un. Et n’oublions pas combien il est dangereux de ne plus écouter la voix de l’autre qui nous interpelle ! On tombe immédiatement dans l’auto-isolement, on entre dans une sorte de surdité “spirituelle” qui affecte aussi négativement notre relation avec nous-mêmes et notre relation avec Dieu […]”[3]. J’y repensais en voyant le jeune homme riche repartir … La voix qui ce jour-là est venu à sa rencontre, était une voix de libération qui l’invitait à l’abandon. Il n’a pas pu l’accueillir. Son visage s’assombrit et une énorme tristesse l’envahit.
Alors Jésus se retourne vers les siens: « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Quand on tient sa propre observance, ses propres exigences comme richesse et sécurité, comme il sera difficile d’entrer dans le royaume. A ces mots, “les disciples étaient stupéfaits” et “de plus en plus déconcertés”. « Mais alors, qui peut être sauvé ? »
« Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. » L’enfant – le poète à sa suite – est celui qui entre dans le “possible de Dieu”. L’Evangile d’il y a deux jours (1er mars) nous le rappelait si clairement: « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » (Mc 10, 15-16)
Il y a longtemps, le pape Benoît XVI commentait dans une homélie[4] sur cet Evangile du jeune homme riche les mots d’un autre jeune, Frère Rafael (Arnáiz Barón), mort à vingt-sept ans comme Oblat de la Trappe: “Vie d’amour… C’est là la seule raison de vivre”. Et faisait cette demande: “Que le Seigneur écoute avec bienveillance l’une des dernières prières de Saint Rafael, lorsqu’il Lui remit toute sa vie en suppliant: “Prends moi et donne-Toi au monde”.
Un seul regard d’amour peut faire fondre le poids des exigences et faire jaillir à nouveau la Vie intérieure. « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit: donne-moi à boire » (Jn 4,10), « viens, suis-moi. »
Laurence Vasseur – vasseurlaurence@hotmail.com
[1] Homélie du Pape François lue par le cardinal José Tolentino de Mendonça, jubilé des artistes et du monde de la culture, 16 février 2025.
[2] Parole écrite par Isaac le Syrien, évêque de Ninive, un mystique du VIIè siècle.
[3] Lettre du Pape François sur l’importance de la littérature dans la formation, 17 juillet 2024, paragraphe 20.
[4] Homélie de la messe de canonisation (11 octobre 2009) de plusieurs saints dont Damien de Molokai (prêtre missionnaire devenu lépreux parmi les lépreux) et Jeanne Jugan (fondatrice des Petites Soeurs des pauvres).

DROIT D’AUTEUR
La méditation peut être partagée à toutes et à tous, en tout ou en partie, mais le nom de l’auteur et l’indication du centre le Pèlerin avec l’adresse du site (www.lepelerin.org) doivent être inscrits, car les droits d’auteur demeurent. Merci de votre compréhension.