No 187 – série 2024-2025
Évangile du vendredi 28 mars – 3ème Semaine de Carême
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur : tu l’aimeras » (Mc 12, 28b- 34)
En ce temps-là, un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Le scribe reprit : « Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. » Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.
Méditation – Le moine et le militant
Le moine et mystique Thomas Merton disait que la vie spirituelle comporte en elle-même un paradoxe. « On ne peut pénétrer au plus profond de soi-même, affirmait-il, et de là en Dieu si l’on n’est pas capable de sortir totalement de soi-même et de se donner à autrui dans l’absolu d’un amour dépourvu d’égoïsme. »
Dans le texte de l’Évangile qui fait l’objet de notre méditation d’aujourd’hui, Jésus nous appelle à la mission cruciale de maintenir en tension les deux termes de ce paradoxe : entrer en soi, mais sortir de soi; être présent à Dieu agissant au plus intime de soi, mais être présent aux autres. Dans la conviction que ces dimensions sont indissociables, il nous enjoint de n’évacuer ni l’une ni l’autre. Et c’est en cela que réside toute la radicalité et toute la nouveauté de son message. Avec lui, pour la première fois, le commandement de l’amour de Dieu et celui de l’amour du prochain se retrouvent sur le même pied car ils participent d’un seul et même mouvement qui puise à la même Source.
Toute l’audace de Jésus tient d’abord dans l’élargissement radical de la notion de « prochain » qu’il propose. Pour les Juifs d’alors, le prochain, c’était celui qui vit dans le pays, le compatriote. Jésus, pour sa part, fait éclater les frontières de l’inclusion en allant jusqu’à étendre ce lien de fraternité aux étrangers, aux Samaritains, aux prostituées, aux pécheurs et même aux ennemis. Garder ouverte notre capacité d’inclusion, nous maintenir indéfectiblement dans l’accueil, oser chaque jour la bienveillance[1], cela n’a cessé de constituer le défi de notre pèlerinage à sa suite; un défi qui émerge avec de plus en plus de véhémence en cette époque que nous traversons.
Mais si Thomas Merton tenait à souligner que sa vocation de moine ne le coupait pas du reste de l’humanité, Desmond Tutu qui était, quant à lui, engagé dans une lutte quotidienne pour la justice, soulignait l’importance de diriger d’abord son attention vers l’intérieur. Même paradoxe à maintenir, même intuition fondamentale : ce ne sont que les tonalités qui changent. Ainsi Desmond Tutu plaidait-il « qu’avant de pouvoir aimer votre prochain – votre frère ou votre sœur – comme vous-même, vous devez d’abord vous aimer vous-même. Et pour vous aimer d’abord, vous devez savoir que Dieu vous aime maintenant et pour toujours. » Ici, pour cet homme d’action, faire l’expérience de Dieu agissant en soi est premier.
Avouons-le, cet impératif de la bienveillance envers soi-même à laquelle l’évêque sud-africain nous convie n’a pas eu la vie facile à travers l’histoire du christianisme. Ce « comme soi-même » est bien souvent passé sous le radar et a été assimilé pendant longtemps à un égocentrisme découlant tout droit du péché originel et destiné à nous faire sombrer dans l’orgueil. Heureusement, beaucoup de nos contemporains se sont affranchis de ce regard culpabilisant sur soi et perçoivent positivement la tâche de développer une saine estime de soi qui passe par une descente aimante, lucide et courageuse dans son histoire blessée. La bienveillance envers soi-même est en fait une façon de prier. Elle consiste à se donner l’occasion d’un recul qui permet de poser un regard de non-jugement sur soi-même afin d’accueillir la présence infiniment aimante de Dieu qui est à l’œuvre dans la personne que je suis. Elle est aussi un acte de responsabilité dans la mesure où elle nous aide à saisir avec plus de clarté que c’est souvent de nos propres blessures que nous blessons autrui.
En terminant cette méditation, je prends le temps d’entrer en moi-même. Quelles sont les dimensions de mon histoire de vie que je n’ose pas ouvrir à l’amour de Dieu? Puis-je voir ce même amour à l’œuvre chez mon prochain, surtout chez celui ou celle qui me semble éloigné.e?
Michel Rondeau – mikeround62@gmail.com
[1] Inspiré du titre d’une œuvre de Lytta Basset. (Ne pas lire)

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