Évangile du Vendredi 19 mai 2023 – 6e semaine du Temps pascal (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Votre joie, personne ne vous l’enlèvera » Jn 16, 20-23a
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. En ce jour-là, vous ne me poserez plus de questions. »
Méditation
Parole émouvante ce matin que cette plongée au cœur du mystère de la puissance de vie, celle portée et celle délivrée de soi. Une puissance de vie épluchant l’affliction en chérissement, la souffrance en grâce. Aux versets 21 et 22, je lis avec l’aide de Chouraqui notre propre labeur pour accoucher du Christ :
(Jn 16.21-22) La femme, quand elle accouche, s’afflige, car son heure est venue. Mais une fois que le petit enfant est né, elle ne se souvient plus de la peine, à cause du chérissement : un homme est né à l’univers. Vous aussi donc, maintenant vous vous affligez. Mais de nouveau je vous verrai, et votre cœur se chérira; et votre chérissement, nul ne vous l’enlèvera.
Je me souviens dans la pénombre de la maison de naissance, une de ces nuits au lendemain incertain, une de ces nuits qui allait s’étirer, me faire naître hors de moi sans que ce soit moi, alors que je n’y peux rien, suspendre le temps parce qu’elle le pouvait tout simplement. Seule avec la sage-femme, je savais l’heure venue, je savais la secrète soumission au corps exigée et la solitude peuplée qui allait nous envelopper. Avec son sourire à la fois énigmatique et éclatant, ma sage-femme revêtait dans la pénombre, des allures de prophétesse, l’une des sept. Peut-être Sarah dont la mission se déployait entre sa tente ouverte et le chemin vers soi qu’Abraham foulera le premier. Autrefois vétérinaire dans la savane africaine, ma sage-femme, mi-prophétesse mi-princesse, avait ramené dans son sourire tous les secrets jamais révélés d’une création à perpétuité : depuis le girafon jusqu’à cet enfant qui allait voir le jour, qui allait être mis au monde, comme un homme né à l’univers.
« … tout ce que Sarah te dira, écoute sa voix! (Gn 21.12) ». Voyant que le papa n’arriverait pas à temps, voyant la douleur en douce marée qui allait me submerger, elle s’approcha de mon visage avec l’égard propre aux terres sacrées. Elle me confia que bien des hommes ne pouvait supporter la vue de leur conjointe en train d’accoucher car la mort s’affichait sur leur visage jusqu’à les dissimuler.
Je n’en doutais pas, au moment d’accoucher, il y a une telle rentrée en soi pour n’y trouver qu’une nudité, un néant habité par une toute puissance de vie, laquelle obéit à une loi inscrite dans la nature et l’éternité. Insaisissable. Il n’y avait plus de moi, plus d’intentionnalité, plus d’entrave à cette vie qui se vivait par moi pour s’échapper de moi avec fracas et se déposer dans le trésor des vivants. Faire naître physiquement ou spirituellement est une grâce, une ouverture sans pourquoi, sans faire ni vouloir. Pur chérissement que d’accueillir ce surcroît de vie où le don de soi pour que l’autre soit n’a pourtant rien arraché du soi. Au contraire, il l’enrichit d’altérité, de miracle et d’amour jusqu’à le rendre transparent, comme un visage qui transpire la vérité de la mort comme passage. Au fond, le Je c’est précisément ce soi-même en tant qu’autre. Et quand le Je se met à l’écoute de la voix qui l’a mis au monde, la voix timbrée de Sarah, c’est alors qu’il donne à voir le Christ, à nouveau. Mais de nouveau, je vous verrai, et votre cœur se chérira…
Dans les yeux de l’enfant toujours naissant que j’ai fait naître, celui qui s’ébat au fond de ma tente illuminée d’un sabbat à l’autre, c’est la promesse vivante du Christ, c’est sa joie inaltérable qui cherche à se vivre à travers soi. Accoucher du Christ en soi c’est devenir enfant chéri de Dieu comme le cœur brûlant du Fils, c’est devenir chérissement pour Dieu comme les entrailles remuées de la mère, c’est devenir aussi prophétie. Annoncer, dans la lourde fuite du monde, que le visage fin de la mort est pétri de naissances. Annoncer, sur la carte du monde, que la Croix indique l’emplacement du trésor des vivants. Annoncer, dans l’épaisse désespérance du monde, que les contractions en nos existences, que les souffrances en manque de sens accouchent, avec un peu de foi, d’un enfant-joie qui confond nos cœurs avec la Résurrection.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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