Poser un regard… sur son regard – Méditation du vendredi 13 septembre 2024

No 5 – série 2024-2025

Évangile du Vendredi 13 septembre 23e semaine du Temps Ordinaire

Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? » Mt 6, 39-42

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître.

Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil”, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. »

Méditation – Poser un regard… sur son regard.

Il y a de cela plusieurs années, un musée montréalais avait offert au public une expérience immersive bouleversante. Elle consistait à suivre un parcours dans l’obscurité, avec pour guide une personne non voyante. La noirceur pure et d’une opacité abyssale dans laquelle nous étions plongés m’avait envahi dès les premiers pas. Je ne pourrai jamais oublier ce sentiment d’insécurité saisissant provoqué par la perte de tous mes repères. Mais au fur et à mesure de ma progression dans ce royaume des ténèbres, ma peur s’atténua grâce au réconfort et à l’apaisement que me procurait le bras solide de notre guide auquel je m’agrippais fermement. Un processus de transmutation des rôles avait mystérieusement balayé de mon esprit cette image si coutumière du non-voyant, comme un être vacillant et démuni, armé d’une baguette blanche dans le péril d’une intersection sans cœur. Guidé par une aveugle qui m’avait prêté ses yeux avec bienveillance, j’étais devenu l’invité de sa relation au monde. Dans la générosité de son accueil, j’avais vécu l’humilité d’une expérience d’abandon et de décentrement radical. Temporairement, j’avais dû mettre entre parenthèses des réflexes de navigation et de jugement que je tenais pour acquis depuis toujours, pour m’introduire dans une perspective sur la vie qui m’était inédite et qui renouvelait radicalement mon regard.

Dans le récit évangélique qui s’offre à notre méditation d’aujourd’hui, Jésus nous invite à poser « un regard sur notre regard ». Il nous invite en somme à prendre de la distance et à nous interroger sur la qualité du regard que nous portons sur l’autre? Qu’est-ce qui obstrue, qu’est-ce qui distortionne la vision que j’ai de ceux et celles qui m’entourent ? Regard sur soi, regard sur l’autre : les deux sont liés. Jésus nous lance un appel à cette lucidité et à cette humilité qui ouvre à la bienveillance et, par le fait même, au lien indissociable entre l’amour du prochain et l’amour de Dieu. Il prolonge d’ailleurs ainsi le sillon que les Béatitudes venaient de tracer dans les versets précédents. Je ne peux ne pas voir la poutre dans mon œil, disait Lytta Basset, et rester en relation avec le Tout-Autre ; mais ne plus être en relation, pécher, c’est voir la paille dans l’œil d’autrui et en faire une poutre ! Parce que c’est ne plus voir que cette poutre, et ne plus voir autrui dans le mystère inépuisable de son être1.

L’injonction de Jésus à sortir de nos enfermements est encore aujourd’hui d’une pressante actualité alors que plusieurs voix s’élèvent qui nous avisent de prendre gare à la façon dont nous nous lançons dans les débats publics. Isolés comme nous le sommes trop souvent dans les bulles idéologiques, ballottés frénétiquement par le flot des algorithmes sans âme, il nous est facile de glisser dans la déshumanisation de l’autre. Il est facile de ne voir en l’autre qu’un ennemi à convaincre, plutôt qu’un compagnon dans la recherche commune et difficile du vivre ensemble.

La prière est un relais. Elle nous offre ce moment de prise de distance sereine pour reprendre notre souffle hors du tourbillon souvent étourdissant dans lequel le quotidien nous entraine. Un relais pour revérifier la qualité d’humanité de notre regard.

Michel Rondeau – mikeround62@gmail.com

1Basset, Lytta. Oser la bienveillance (p. 242). Albin Michel.

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