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Évangile du Samedi 27 mai 2023 –7e semaine du Temps pascal (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« C’est ce disciple qui a écrit ces choses ; son témoignage est vrai » Jn 21, 20-25
En ce temps-là, Jésus venait de dire à Pierre : « Suis-moi. » S’étant retourné, Pierre aperçoit, marchant à leur suite, le disciple que Jésus aimait. C’est lui qui, pendant le repas, s’était penché sur la poitrine de Jésus pour lui dire : « Seigneur, quel est celui qui va te livrer ? » Pierre, voyant donc ce disciple, dit à Jésus : « Et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il ? » Jésus lui répond : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. » Le bruit courut donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or, Jésus n’avait pas dit à Pierre qu’il ne mourrait pas, mais : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? »
C’est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites, et nous savons que son témoignage est vrai. Il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; et s’il fallait écrire chacune d’elles, je pense que le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres que l’on écrirait.
Méditation
En route vers le monastère, j’écoute le ton las de ma copine au volant. Son épuisement est si dense que je me sens à l’étroit même en levant le regard vers l’horizon. Elle me parle de ses enfermements qui l’épuisent et l’absorbent tels un papier buvard. Que reste-t-il du nectar destiné à la célébration et au renversement, une fois essuyé pour faire place nette ? Sa vie est nette, essuyée par une rigueur exigée par le succès : entraînement athlétique aux aurores, carrière professionnelle de haute voltige le midi, vie sociale papillonnant entre les amies et le bénévolat, le tout déjà évidé en soirée. Le nectar n’enivre plus, il n’est devenu que besoin obsessif de boire. Tout feu tout flamme, elle vivait au rythme du tambour battant, des actions d’éclat et estimait qu’il faut mourir en lion et certainement pas en agneau. La route s’étire en lacets, à la radio, un balado fait témoigner des affairés fatigués, essoufflés d’une vie qui leur échappe constamment. Comment sommes-nous parvenus à être si fatigués de soi, au point qu’ici, au Québec, nous songeons à l’établir comme critère pour l’aide médical à mourir ? Nous arrivons au monastère, il me semble que les complies seront tout à coup trop longues.
Les versets précédents du chapitre qui clôt l’Évangile de Jean, nous montrent la dernière rencontre du Christ avec les apôtres pêcheurs, retournés à leur vie d’avant, leur Tibériade. Une pêche qui fatigue comme une vocation sans vie, une tâche pour assurer la survie et l’oubli. Un Eden déserté, un verger stérile, une innocence exsangue. Un inconnu sur le rivage, des filets qui craquent sous la prise étonnement généreuse, pleine de vie et de promesses de rassasiement, le Maître est de retour. Liturgique, la cène sera rejouée, cette fois Tibériade et Galilée ne seront plus contrées et espaces vacants mais envois et chemins de gloire. Pierre débarque à moitié nu pour se jeter à la mer à la rencontre du Ressuscité. Jean, le disciple bien-aimé, est resté apparemment dans l’embarcation jusqu’à se déposer sur le rivage où un feu de braises les attend.
L’Amour est ainsi, il est feu de braises sur le rivage où nous nous échouons avec nos vies larvées, nos ancres crochies et nos immenses galères s’enfonçant dans nos réussites éphémères, liquides. L’Amour est apaisement. Pour l’enfer intérieur comme pour le cœur brûlant, son mouvement est le repos. Son écart se moque du temps et de la distance physique, nous rapprochant parfois plus d’un mort que de son enfant. Il s’écoule dans le creux de nos évènements, arrachant le fugace et le périssable sur son passage. Un feu de braises au milieu d’un rivage, au milieu du calme et du dépouillé, il nous invite à être au centre de tout. Les idolâtries se consument, le mérite s’effrite, la puissance sablonneuse se désagrège dévoilant la véritable nature rocheuse de la vulnérabilité qui borde le rivage.
Le disciple bien-aimé est demeuré dans la barque, celui qui s’appuyait sur le cœur de Jésus pour faire sienne sa respiration, pour faire sien le rythme du cœur sacré qui bat au plus profond de toute humanité. Sans effervescence, dans le calme et l’infinité d’une plage sous une nuit étoilée, l’Amour consume tout ce qui est accumulé, l’usure comme la lassitude. L’Amour est apaisement et attente, il est douceur, chaleur et lumière inextinguibles, il est ce qui veille pour que le Christ vienne. Malgré les cœurs incendiés, les enfers intérieurs, les existences brûlées, l’espoir couleur cendres, les braises demeurent ardeur dans nos nuits jusqu’à ce qu’il vienne.
Dans la pénombre, les complies sont déjà terminées. Une brise se fait sentir malgré les fenêtres fermées, je frisonne. Je me tourne vers ma copine lessivée, une larme coule sur sa joue et il me semble déceler dans son regard une lueur nouvelle. Je souris, le rivage est tout près, j’entends déjà le crépitement des braises. Je l’invite à demeurer assise tranquille sur le banc, à se laisser bien aimer comme Jean. Contemplant la croix, tous les mots du monde entier ne suffiraient pas à décrire ce que le Christ nous faisait vivre à cet instant au moyen d’une larme et de son éclat.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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