Évangile du Samedi 22 juin – 11e semaine du Temps Ordinaire (tiré d’AELF)
« Ne vous faites pas de souci pour demain » Mt 6, 24-34
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. C’est pourquoi je vous dis : Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Vous-mêmes, ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? Qui d’entre vous, en se faisant du souci, peut ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un d’entre eux. Si Dieu donne un tel vêtement à l’herbe des champs, qui est là aujourd’hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien davantage pour vous, hommes de peu de foi ? Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : “Qu’allons-nous manger ?” ou bien : “Qu’allons-nous boire ?” ou encore : “Avec quoi nous habiller ?” Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. »
Veuillez noter que nous terminerons nos méditations ce dimanche 23 juin et que nous les reprendrons le lundi 9 septembre. Nous vous remercions de nous avoir lu durant toute cette année et nous espérons vous revoir en septembre. Bonnes vacances et que Dieu vous accompagne ! Alice (celle qui prête sa voix aux méditations), Barbara, Dany, Gladys, Laurence, Marie-Emmanuel, Martial, Stéfan et Vincent
Méditation
La Parole de ce matin me laboure. De retour de chez un proche, j’avais été invitée pour célébrer presqu’incognito la mémoire de son fils que je n’ai jamais vraiment connu. Tout au plus, l’ai-je croisé une ou deux fois au sein de réunions familiales au souvenir effacé. Il y a des terres qu’on dit familières parce que cousines mais si étrangères en vérité, jamais foulée, jamais même approchée. Une terre où il n’y aura plus de demain. Une terre désertée car la vie lui a été enlevée par celui-là même qui l’avait reçue. À cette pensée, la honte gagnait certains visages, le souci assombrissait les autres. Nous n’étions que peu, nous nous sentions de trop devant la terre brûlée qu’arpentait en sanglots retenus, le parent esseulé, orphelin et dévasté.
En ce moment si présent, si précieux, se contractait l’infini de l’amour, de la perte et du vide d’un père. Il tenait, serrées contre lui, les cendres de son fils suicidé. J’étais censée dire quelques mots, trempés d’espérance et d’apaisement. Le papier resta plié, il fallait se taire, se tenir dans le silence et dans la présence. Se tenir au pied de la croix au plus près des trois Marie. Ne pas se soucier de demain, cela lui aurait ôté la vie. Non pas celle partie mais celle qui se délivrait, pour de bon, dans nos genoux fléchis. Relever la tête sans se soucier des regards prochains, tenir la main des trois Marie, sans jamais plus la lâcher.
Demain… qu’est-ce qu’un demain lorsqu’on a perdu un fils ? Un fils, non pas mort mais enlevé par le désespoir et la souffrance. Une vie ainsi retirée, est-elle rendue à Dieu étant donné la pleine liberté laissée ? Pourtant, il y avait tant de présent, tant de présence dans les larmes coulées, c’était peut-être celles des trois Marie. Qu’est-ce que le souci quand il y a tant de présent et tant de présence au cœur de la mort même insensée? La tendresse du Christ palpite, sa tête retombe sur la croix, il n’y a pas de demain ni de souci, il n’y a son à-venir en pleine humanité, ici, maintenant. Avec cette vie délivrée de la vie, le passé desserre son étreinte; avec cet amour délivré de l’amour, le vivant est à perpétuité. Au pied de la croix, les trois Marie l’ont intimement saisi. Ce Fils, ce proche, cet enfant bien aimé, n’appartenait déjà plus au passé mais à ce présent qui nous projette dans l’éternité. Il n’est pas futur mais à-venir encore et déjà enraciné en vous et en moi. Ce Fils, enfant bien-aimé qui se fait proche, est fécondité au cœur du vide, engendrement au cœur de la perte, amour éternel au cœur de la vie. Le souci détourne le regard de la présence de ce Fils qui cherche à vivre à travers le précieux de tous les moments.
En silence et en larmes devant ce père et ce fils que je croyais pourtant si lointains, je me tiens auprès d’eux, les mains ouvertes, priant avec trois Marie. Nos murmures entrelacés faisaient du Notre Père, la seule parole d’accueil pour cette douleur inouïe. Donne-nous aujourd’hui… pardonne-nous… Nous en étions à demander pardon à l’unisson quand un ange passa, un frisson nous parcourut. Un sourire aussi inespéré qu’inattendu éclaira le visage du père endeuillé. Une certitude nous inonda un instant : son fils était bel et bien accueilli par le Père. Il n’y avait plus de souci à se faire. En cette douceur de juin, c’était la fête dans le cœur des pères et dans celui du Très Haut. J’entendais la précipitation des trois Marie, leur foi dissimulée en insouciance. Elles s’élançaient vers la ville, laissant là une croix vide, un jardinier vivace. Dans leur hâte, dans leur chant d’allégresse, je distinguais les derniers vers si vifs et sans lendemain de feu Christian Bobin:
Je cherche la vie délivrée de la vie, l’amour délivré de l’amour, ce froissement d’or d’un diapason, cette note pure qui tremble bien avant notre naissance et après notre mort (Le murmure, Gallimard, 2024, p. 55).
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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