Évangile du Mercredi 20 septembre – 24e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous n’avez pas pleuré » Lc 7, 31-35
En ce temps-là, Jésus disait à la foule : « À qui donc vais-je comparer les gens de cette génération ? À qui ressemblent-ils ? Ils ressemblent à des gamins assis sur la place, qui s’interpellent en disant : “Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous n’avez pas pleuré.” Jean le Baptiste est venu, en effet ; il ne mange pas de pain, il ne boit pas de vin, et vous dites : “C’est un possédé !” Le Fils de l’homme est venu ; il mange et il boit, et vous dites : “Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs.” Mais, par tous ses enfants, la sagesse de Dieu a été reconnue juste. »
Méditation
En chacun.e de nous, la Parole de Dieu doit respirer d’Esprit. Comme au jour de la création, nous devons Lui laisser en nous sa puissance créatrice, et cela nous demande de la laisser toujours nous éclairer d’un jour nouveau et nous communiquer la vie du Père toujours inaperçue. L’Évangile d’aujourd’hui nous offre trois exemples de notre difficulté intérieure à laisser cet espace de naissance à la Parole en nous. Et avouons-le les générations d’aujourd’hui ne sont pas si différentes de celles d’hier.
D’abord, pour une bonne part, ne sommes-nous pas ces gamins « qui s’interpellent » mutuellement au milieu du monde, cherchant le loisir et le plaisir ou se lamentant quand notre adolescence adulte ne répond pas à nos attentes. Ce qui est frappant est qu’ils n’ont aucun rapport à la Parole car ils s’interpellent entre eux. Ils n’ont que l’horizon du monde pour jouer de leur flûte ou se lamenter. L’image de ces « gamins assis sur la place » renforce combien la perspective qu’ils ont du monde est réduite. Comme le dit l’approche holistique, leur champ de conscience est bien limité. Est-ce la vraie réalité du monde que de vivre sur cette place réduite à deux dimensions, plaisirs et lamentations, ou n’y aurait-il pas justement la possibilité pour chacun.e de nous de toucher, par la Parole de Dieu qui est en nous, aux origines de la Vie et aux paysages trinitaires ?
Mais quand on est ces « gamins », comment réagissons-nous aux Jean-Baptiste du monde qui « ne mangent pas de pain, (… et) ne boivent pas de vin » ? S’ils nous fascinent un instant par leur questionnement sur notre mode de vie ou pour la fenêtre qu’ils nous entrouvrent sur un Autre horizon, sur un mystère caché en nous depuis toujours, nous les croyons « possédés ». Une part en nous touche à la vérité de ce qu’ils portent, qu’il y a en eux un Plus grand, non qui les possède mais qui les habite. Mais nous sommes toutes et tous dérangés, car cette Présence nous fait peur : elle menace nos danses et même nos pleurs. Les premières parce que l’ascétisme de ces Jean-Baptiste nous laisse entrevoir que nous devrons abandonner notre vie de jeux et, j’oserais dire, pire encore, nos pleurs, car nous devrons aussi sortir de notre rôle de victime dans lequel le mal nous tient. Conclusion : ces Jean-Baptiste du monde sont fous, sont possédés, vivent au Moyen-Âge, osent « croire » encore à ces balivernes, … que c’est ridicule !
Puis, « le Fils de l’homme est venu ; il mange et il boit, et vous dites : “Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs” ». Là, nous sommes confondus, car, à la différence de ces Jean-Baptiste, « il mange et il boit ». Finalement, ces illuminés de la Parole, de la foi, enfin révèlent leur jeu. Ils sont comme nous mais l’ont bien caché; pire, ils sont des gloutons et des ivrognes. Ils jouent à l’ange et aux saints mais ils cachent en eux un mal encore plus grand. La crise alors des abus en Église prouve ce qu’ils ont toujours voulu croire, à savoir leur folie du Ciel. En regard de nos jugements, accusations et lamentations sur nous-mêmes, n’est-il pas mieux de les poser sur les autres ?
La réponse de Jésus déroute nos stratégies : « Mais, par tous ses enfants, la sagesse de Dieu a été reconnue juste » ou « la Sagesse se justifie par tous ses enfants » (Chouraqui). « En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux » (Mt 18, 3). Seuls les tout-petits connaissent la joie de la Parole qui crée toute chose nouvelle et qui enfante : « je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25).
Jésus à sa façon nous demande de choisir entre les jeux et les lamentations adultes ou la prière, cet état de notre être et de notre cœur où nous laissons Dieu danser en nous et nous partager ses lamentations sur la dérive et la souffrance de ses enfants. Ce n’est plus une attention à nos bons plaisirs mais à ceux de Dieu, à son bonheur à Lui et à celui de ses enfants. Prier n’est pas une mission de bigotes et de bigots mais la folle aventure d’une personne qui se livre à la Parole afin d’être cocréatrice et salvatrice avec elle du monde. C’est se faire sourcière d’une Vie infinie afin de la laisser s’écouler vers les A(a)utres à travers la petitesse de notre chair et de notre quotidien. S’il y a « possession », ce n’est que dans une dépossession d’Amour pour les A(a)utres et, s’il y a ivresse, ce n’est que celle d’une Parole qui nous ouvre au chérissement et au ravissement d’une Vie en Dieu. Allons danser Dieu sur les places du monde et faisons connaître l’ivresse des enfants ! Dansons la Vie ! Dansons la Parole !
Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)
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