La vue mystagogique de Jésus-Christ – Méditation du mercredi 19 février 2025

No 150 – série 2024-2025

Évangile du mercredi 19 février 6e semaine du temps ordinaire

Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« L’aveugle se trouva guéri, et il distinguait tout avec netteté » (Mc 8, 22-26)

En ce temps-là, Jésus et ses disciples arrivèrent à Bethsaïde. Des gens lui amènent un aveugle et le supplient de le toucher. Jésus prit l’aveugle par la main et le conduisit hors du village. Il lui mit de la salive sur les yeux et lui imposa les mains. Il lui demandait : « Aperçois-tu quelque chose ? » Levant les yeux, l’homme disait : « J’aperçois les gens : ils ressemblent à des arbres que je vois marcher. » Puis Jésus, de nouveau, imposa les mains sur les yeux de l’homme ; celui-ci se mit à voir normalement, il se trouva guéri, et il distinguait tout avec netteté. Jésus le renvoya dans sa maison en disant : « Ne rentre même pas dans le village. »

Méditation – La vue mystagogique de Jésus-Christ

Le récit de la guérison de l’aveugle de Bethsaïde est mystérieux et singulier à plus d’un égard. D’abord, il est propre à l’évangéliste Marc, mais plus encore, la guérison du « non-voyant » s’accomplit progressivement en deux étapes, ce qui en fait un récit unique en son genre. Or, ce n’est sans doute pas là une occurrence fortuite dans l’intention du saint auteur, mais plutôt la révélation d’un message théologique et spirituel essentiel, un message qui fait « voir et vivre une parcelle du ciel », qui fait ressusciter de son vivant. Ce récit évoque ainsi la vue mystagogique de Jésus-Christ pour nous qui sommes appelés de tout temps et en tout lieu à le reconnaître et à le suivre. C’est dire que l’évangéliste nous rend présent et agissant ce « Verbe [qui] s’est fait frère » (Bx Christian de Chergé) en nous faisant entrer dans le mystère de l’Amour Miséricordieux du Père qui, s’y révélant, nous révèle à nous-mêmes et à l’autre dans notre filialité et fraternité, au cœur même de la Création infinie et de l’Incarnation rédemptrice.

Cet aveugle de Bethsaïde, c’est moi, toi et nous. Certes, de par notre condition humaine et pécheresse, nous souffrons tous à divers degrés de cécité spirituelle. Nous avons besoin que nos yeux soient ouverts afin de voir en vérité le Fils, Lumière de nos yeux (Tb 11, 14). Nous avons à apprendre à nous laisser toucher par le Mystère de Celui qui nous dépasse, afin de voir plus clair dans notre v(V)ie et de parvenir, grâce à Lui, à la vision nette de la foi, à une foi éclairée. Seul ce regard lumineux de la foi donne « la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (He 11, 1). Voyons de plus près cette mystagogie grâce à laquelle le Seigneur rend la vue aux aveugles (cf. Ps 145, 8) et par laquelle il éduque le regard de foi des disciples d’hier comme d’aujourd’hui qui deviennent lumière du monde (Mt 5, 14) à son image et à sa ressemblance (Gn 1, 26).

D’entrée de jeu, saint Marc enclave le récit de guérison de l’aveugle de Bethsaïde entre l’incompréhension des disciples symbolisée par l’aveuglement – « Avez-vous donc […] des yeux pour ne point voir » (8, 18) – et la profession de foi de Pierre : « “ Mais pour vous, leur demandait-il, qui suis-je ? ” Pierre lui répond : “ Tu es le Christ ” » (8, 29). Le récit de l’aveugle de Bethsaïde constitue en fait une plaque tournante qui fait passer de l’incompréhension à la profession de foi. Il trace l’itinéraire initiatique et le parcours du cheminement de foi en croissance de celui qui est amené à Jésus pour qu’il le touche (8, 22). Le récit illustre combien l’accueil du regard patient et perçant du Fils de Dieu, posé de manière ajustée sur l’« aveugle », a le pouvoir, par son appel inhérent, de le faire passer « des ténèbres à son admirable lumière » (1 P, 2, 9).

Jésus le reconnaît dans sa dignité et son unicité à part entière. Il engage avec lui une relation personnelle de guérison loin des regards indiscrets, des apparences, des impressions et des préjugés qui enténèbrent sans doute sa vie. Il lui tend la main pour l’accompagner et le conduire progressivement vers sa Lumière, mais à son propre rythme. Comme ses mains sont le prolongement de son cœur, il lui démontre concrètement toute la puissance de son amour par son toucher, y mettant vraiment du sien en appliquant jusqu’à sa salive. Ce geste, qui surprend notre sensibilité moderne en matière d’hygiène et de salubrité, était pourtant courant et reconnu à l’époque comme geste de guérison, puisqu’on attribuait à la salive une certaine vertu curative pour la vue. Puis, dans un entre-deux, au milieu du cheminement en croissance, surgit la question insolite : « Aperçois-tu quelque chose ? » (8, 23), qui n’est pas sans connivence avec cette autre question apparentée mais anticipée : « Qui suis-je au dire des gens ? » (8, 27)

En réponse, sont suscités un aperçu et une vision floue qui donnent cependant suffisamment à voir pour engager le « croire » du mi-voyant. À première vue, c’est l’homme Jésus qu’il aperçoit comme les autres humains indistinctement. Mais, chemin faisant intérieurement avec lui, c’est le Fils de Dieu qu’il « entre-voit » se révéler en filigrane dans sa propre vie, celui dont le « toucher salivaire », comme une « haleine de vie » (Gn 2, 7), est la condition de possibilité d’une Parole qui libère et recrée en lui le désir de voir clair et d’être pleinement en Dieu. C’est alors du milieu de ce cœur qui se réenchante progressivement que point cette vue mystagogique qui appelle et aspire dans un consentement à un « oui-déjà, mais encore ».  « Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d’une manière partielle, mais alors je connaîtrai comme je suis connu » (1 Co 13, 12).

Point de bascule où le croire fait maintenant voir autrement par suite de touches successives dès l’instant où le Fils de Dieu « re-pose » ses mains sur les yeux du mi-voyant, occasionnant du coup une « nuit » transitoire épurant ce qui éloigne et divise, mais débouchant ultimement sur la claire vision de foi en Dieu. Ce qui « distingue » désormais avec « netteté » (Mc 8, 25) ce « voyant » de l’aveugle, « l’homme de l’arbre » (8, 24), c’est le regard clairvoyant porté sur lui-même et sur l’a(A)utre (le prochain, la Création, Dieu-Trinitaire) qui s’avère dès lors guéri dans et par l’Amour Miséricordieux qui différencie sans diviser et qui unit sans confusion ni emprise d’un regard « dé-viant ». Il n’est plus alors question de qu’en-dira-t-on, mais d’une profession de foi personnelle qui fait dire à l’instar de Job : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » (Jb 42, 5) ou à l’instar de Pierre, « Tu es le Christ » (Mc 8, 29).

Telle est la vue mystagogique de Jésus-Christ. Le Mystère nous appelle et nous fait prendre le large de la foi (Lc 5, 4), dédaignant tout retour en arrière dans d’anciennes ornières aveuglantes du « village » (Mc 8, 26), pour habiter désormais la divine demeure au fond de notre cœur et, y désirant la Lumière, y accueillir le Seigneur qui vient. Et, le beau « clin Dieu » de ce récit, c’est l’invitation à la sainte patience à l’égard de notre regard de foi qui tarde parfois à adopter pleinement la vue mystagogique de Jésus-Christ, car, que nous soyons ouvriers de la première ou de la onzième heure (Mt 20, 1-16), nous recevons toujours-déjà la même rétribution : un Amour Miséricordieux surabondamment et inconditionnellement donné.

Bénédiction et union de prière !

Dany Charland – danycharland173@gmail.com




DROIT D’AUTEUR

La méditation peut être partagée à toutes et à tous, en tout ou en partie, mais le nom de l’auteur et l’indication du centre le Pèlerin avec l’adresse du site (www.lepelerin.org) doivent être inscrits, car les droits d’auteur demeurent. Merci de votre compréhension.