Évangile du Mercredi 17 mai 2023 – 6e semaine du Temps pascal (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« L’Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière » Jn 16, 12-15
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
Méditation
L’âme doit marcher avec une simple attention amoureuse vers Dieu comme quelqu’un qui ouvre les yeux avec un regard d’amour. Saint Jean de la Croix
Sa vie jaillit en nous de l’intérieur selon l’expression toute simple mais admirable de Ruysbroeck : « Jésus vient à notre rencontre de l’intérieur vers l’extérieur ». [1]
En lisant le passage évangélique d’aujourd’hui, je me suis surprise à penser au cheminement des disciples de Jésus et à la délicate pédagogie divine. Ces derniers ont été conduits dans une relation à Jésus de plus en plus intime, de l’extérieur vers l’intérieur… Ils sont passés du Jésus pleinement humain, qu’ils ont aimé et suivi sans trop comprendre, le cœur saisi, à la présence du Ressuscité, apprivoisée tant bien que mal. Puis, les voici invités, grâce au départ de Jésus, à accueillir une nouvelle présence, cette fois-ci toute intérieure, et à recevoir l’Esprit de vérité qui les conduira dans la vérité toute entière. Cette vérité, c’est le Christ, la personne même de Jésus, lui, le chemin vivant vers le Père (Jn 14,6). Il part, mais pour nous donner son Esprit.
Dieu vient habiter le cœur de l’homme ! Chef-d’œuvre divin. Voilà l’intimité, l’union qu’Il désire… Vous serez enseignés de l’intérieur… Quel héritage ! La vie dans l’Esprit nous est donnée. Tout nous est donné ! Non pas un peu, beaucoup ou énormément mais la vérité toute entière, en plénitude. La limite, bien sûr, est de notre côté. Fais-toi capacité, je me ferai torrent, disait Jésus à sainte Catherine de Sienne… Mais qu’en est-il de cette vie dans l’Esprit ?
Samedi dernier, cinq heures du matin, confortablement assise avec mon café et mes deux chiens encore endormis et ébouriffés, j’ai fait un brin de jasette, un petit colloque avec André Louf et Jean-Claude Sagne sur cette vie nouvelle. D’emblée, tous deux m’ont parlé de l’homme intérieur… Pour ce dernier, la vie dans l’Esprit n’est autre que la vie filiale, notre vie en Christ. Elle implique de se rendre disponible au don de Dieu et appelle à l’intériorité et au recueillement, à vivre à partir de l’homme intérieur où la présence en nous du Ressuscité est davantage nous-mêmes que nous-mêmes. Il est le Cœur de notre cœur, il est le centre de notre centre.[2] Cet homme intérieur est aujourd’hui oublié, nié, ou simplement négligé par l’anthropologie moderne et les sciences dites cognitives et doit retrouver la place qui est la sienne. L’homme est appelé à (re)devenir lui-même.[3]
Dom André Louf considère la vie dans l’Esprit comme un pèlerinage vers le cœur. Que découvre-t-on lorsqu’on s’aventure sur ce sentier ? La perle du christianisme, que saint Pierre nomme l’homme caché du cœur (1Pi 3,4), saint Paul l’homme intérieur (2Co 4,16), les Pères grecs le lieu de Dieu, la tradition latine le temple caché, le sanctuaire intérieur, la pointe de l’âme, le fond, le cœur…[4], Au Pèlerin, nous appelons cœur profond cet espace intérieur, caché en nous, où Dieu habite et respire, et nous insuffle sa vie profonde, nous invitant à une perpétuelle liturgie du cœur, toute intérieure. La spiritualité chrétienne est un trésor, une tradition millénaire de prière y a enfanté un art de la vie intérieure d’une profondeur fabuleuse. Nous sommes appelés à dégager en nous ce lieu secret, véritable oratoire, noyau de notre existence et à nous unifier à partir du dedans. L’homme nouveau est ainsi fécondé de l’intérieur.[5] C’est là qu’il nous faut le rechercher, l’attendre, apprendre à vivre recueillis sur notre monde intérieur, non pas pour rester aveuglé sur lui, mais, tout en restant dans ce monde intérieur, en demeurant à son écoute, pour aller avec le Seigneur vers l’extérieur.[6] De l’intérieur vers l’extérieur.
Il nous faut donc garder l’oreille intérieure attentive à la mouvance de l’Esprit au plus profond de notre cœur,[7]une attention aimante et paisible à la présence de Dieu en nous. Le défi est de taille en notre monde post-moderne où tout nous exhorte à vivre à l’extérieur plutôt qu’à l’intérieur. Louf considère le discernement spirituel comme le fruit le plus décisif de l’expérience intérieure, le cœur de la vie chrétienne étant de vivre branché sur l’Esprit, à l’écoute de cette source divine dans le cœur. La suite du Christ se vit dans la docilité à l’Esprit qui nous enseigne à chaque instant, d’où l’importance de savoir discerner ses motions et ses appels pour s’y conformer. Il serait téméraire de penser y arriver seul… J’ai essayé… et je me suis perdue en chemin…
Sagne nous rappelle que nous ne découvrons notre identité filiale qu’en construisant en nous et autour de nous un milieu de partage fraternel, une cellule du Corps mystique. Désormais, le temple nouveau où réside la gloire de Dieu est la communauté pascale des disciples de Jésus.[8]
Et André Louf renchérit avec un plaidoyer en faveur de l’accompagnement spirituel afin de détecter le désir de l’Esprit par le discernement spirituel au cœur d’une relation d’accompagnement. Percevoir l’Esprit Saint, apprendre à vivre à l’écoute de cette longueur d’onde intérieure, saisir les signes de celui que saint Augustin appelait le maître intérieur. On reconnaît là ce que saint Jean appelle onction intérieure, cette douce poussée de l’Esprit Saint qui est réveillé en nous grâce à la prière et qui suffit pour nous dire ce que nous avons à faire.[9] De l’intérieur vers l’extérieur.
Quant à vous, vous avez tous reçu l’onction venant du Saint, et tous vous possédez la science… l’onction que vous avez reçu de Lui demeure en vous et vous n’avez pas besoin qu’on vous l’enseigne, mais, puisque son onction vous instruit de tout et qu’elle est véridique comme elle vous a instruit, demeurez en elle. (1Jn 2,20 et 26-27).
Ce que je voudrais dire aux jeunes aujourd’hui, en empruntant les mots de Charles Wright, biographe d’André Louf : Que le christianisme n’est pas une morale ou une idéologie, mais une voie de transformation de l’être, une doctrine de l’éveil, un chemin de liberté : il conduit à la profondeur de l’expérience spirituelle et à la joie qui ne passe pas.
Geneviève Durocher (gdurocher@lepelerin.org)
[1] LOUF, Dom André, L’homme intérieur, Paris, Éditions Salvator, 2021, p.55
[2] SAGNE, Jean-Claude, La vie dans l’Esprit, Paris, Salvator, 2012, p.25
[3] Ibid., p.17
[4] LOUF, Dom André, L’homme intérieur, Paris, Éditions Salvator, 2021, p.11
[5] Ibid., p.55
[6] Idem
[7] Ibid., p.12
[8] SAGNE, Jean-Claude, La vie dans l’Esprit, Paris, Salvator, 2012, p.29
[9] LOUF, Dom André, L’homme intérieur, Paris, Éditions Salvator, 2021, p. 57-58.
DROIT D’AUTEUR
La méditation peut être partagée à toutes et à tous, en tout ou en partie, mais le nom de l’auteur et l’indication du centre le Pèlerin avec l’adresse du site (www.lepelerin.org) doivent être inscrits, car les droits d’auteur demeurent. Merci de votre compréhension.