No 206 – série 2024-2025
Évangile du mercredi 16 avril – Mercredi Saint
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit ; mais malheureux celui par qui il est livré ! » (Mt 26, 14-25)
En ce temps-là, l’un des Douze, nommé Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres et leur dit : « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ? » Ils lui remirent trente pièces d’argent. Et depuis, Judas cherchait une occasion favorable pour le livrer.
Le premier jour de la fête des pains sans levain, les disciples s’approchèrent et dirent à Jésus : « Où veux-tu que nous te fassions les préparatifs pour manger la Pâque ? » Il leur dit : « Allez à la ville, chez untel, et dites-lui : “Le Maître te fait dire : Mon temps est proche ; c’est chez toi que je veux célébrer la Pâque avec mes disciples.” » Les disciples firent ce que Jésus leur avait prescrit et ils préparèrent la Pâque.
Le soir venu, Jésus se trouvait à table avec les Douze. Pendant le repas, il déclara : « Amen, je vous le dis : l’un de vous va me livrer. » Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, chacun son tour : « Serait-ce moi, Seigneur ? » Prenant la parole, il dit : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer. Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet ; mais malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là ! » Judas, celui qui le livrait, prit la parole : « Rabbi, serait-ce moi ? » Jésus lui répond : « C’est toi-même qui l’as dit ! »
Méditation – Un tableau ne vit que par celui qui le regarde
Chers frères et sœur en Jésus-Christ, ne trouvez-vous pas que le Mercredi Saint présente un lien de connivence avec le mercredi des Cendres ? L’un en amont et l’autre en aval du Carême, ils convergent toutefois dans leur mise en lumière de cette part « d’ombre » qui trace les berges de la finitude et du péché sur le tableau de notre condition humaine. Qu’à cela ne tienne, nous ne devons jamais perdre de vue la magnificence de l’ensemble de ce tableau sur lequel se peint en surimpression perpétuelle le dessein du salut de Dieu qui n’est que Vie et Amour.
La vue d’ensemble du tableau à la lumière de l’Évangile du jour, c’est précisément la communion de l’Amour miséricordieux et salvateur de Dieu révélée dans le Mystère pascal. L’ombre au tableau, c’est l’étroite vue du mal consenti assiégeant Judas Iscariote dont l’attitude et le comportement font scandale (skandalon), c’est-à-dire, obstacle placé sur le chemin, pierre d’achoppement, occasion de trébucher et de chuter. D’instinct, difficile de réprimer notre envie, sinon de lui jeter la pierre, du moins de le pointer violemment d’un doigt accusateur et vindicatif. Pourtant, en le pointant de la sorte, nous prenons du coup conscience que les autres doigts, eux, pointent vers nous-mêmes, et que Judas, notre malheureux frère en fait, croupit lamentablement aussi au fond de nous. « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre […] Eux après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés » (Jn 8, 7.9).
Qui peut en effet se targuer de n’avoir jamais trahi Jésus et d’avoir toujours traduit fidèlement son amour ? Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères et sœurs, c’est à moi que vous l’avez fait… Chaque fois que vous ne l’avez pas fait pour eux, à moi non plus vous ne l’avez pas fait (Mt 25, 40.45). Soit ! Indéniable ! Mais, au compte de l’absolu divin, en comparaison des 30 dérisoires deniers de la trahison, là n’est pas l’essentiel, le « sens du ciel » que nous sommes appelés à intérioriser et incarner. C’est d’ailleurs l’enjeu qui a malheureusement échappé à Judas déçu dans sa conception déviante du véritable projet messianique de Dieu en Jésus-Christ, et qui peut aussi nous faire perdre pied si nous n’y prenons garde : en Dieu-Père et en son œuvre, la pierre qu’ont rejetés les bâtisseurs devient la pierre d’angle (Ps 117, 22).
Ainsi, ce qui fait toute la différence entre la trahison de Judas et le reniement de Pierre par exemple, ce n’est point la nature de leur manque d’amour et la fragilité de leur foi en une espérance déconcertante, mais ce qu’ils en ont fait après-coup sous le regard de Jésus-Christ : perversion et détournement de la faute autocentrée en l’homme pour l’un, conversion et « retour-ne-ment » de la faute en vue de Dieu pour l’autre. Conséquence, le dénouement et le recouvrement sont sans aucune mesure : le « mal-heureux » englué dans les affres du doute, du remord et du désespoir se pend en une bien triste fin à l’arbre de la mort, alors que le « bien-heureux » se repent en offrant l’aveu de son manque à l’Amour miséricordieux qui donne vie sans fin. Nous ne sommes pas du tout au même endroit !
Ne nous méprenons donc pas, la faute de Judas n’est pas tant d’avoir trahi Jésus que de n’avoir pas cru du profond de son cœur à la miséricorde divine toujours offerte, quelle que soit la faute. « Si Judas s’était pendu au cou du Seigneur au lieu de se pendre à l’arbre, s’exclame saintement Thérèse de Lisieux, nous prierions ensemble saint Judas[1] ». « Dieu fait pousser ses fleurs les plus belles au milieu des pierres les plus arides », renchérit poétiquement le Pape François, rappelant que « le péché n’est pas tant un tache qu’une plaie à guérir ». De ce point de vue, l’Évangile du jour est une invitation à passer dans et par la foi, qui a manqué à Judas, de l’ombre à l’« obombrement » lumineux du Mystère pascal dont le fol Amour transfigure les apparences trompeuses et les vues trop étroitement humaines en Source de Vie et d’Amour de soi et de l’a(A)utre. « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages, ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort; ce qui dans le monde est sans naissance [« il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là » (Mt 26, 24)] et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi » (1 Co, 1, 27-28), « car la puissance se déploie dans la faiblesse » (2 Co 12, 9) », proclame l’apôtre Paul.
Ainsi, bien au-delà du geste scandaleux de Judas et du reniement repenti de Pierre, certes libres et portés au compte de leur auteur, demeure toujours-déjà bienheureusement entier l’irréductible Mystère du Dieu de Jésus-Christ. De sorte qu’à travers l’exercice libre et responsable des volontés humaines, le Père déniche toujours la possibilité d’actualiser son dessein de salut pour le meilleur et dans le pire de notre monde. Nous sommes ainsi conviés aujourd’hui à contempler en pèlerins d’espérance la distance qu’il y a entre le geste honteux de l’humain et le fruit que Dieu en fait surgir et fructifier en don partagé. En Jésus-Christ, « celui qui tombe et se relève, affirme François Gervais, est bien plus fort que celui qui ne tombe jamais ».
Sur les pas de Dieu, gardons toujours en mémoire vive que « la valeur d’une vie ne réside pas dans une prétendue perfection, inatteignable, mais dans ce mouvement constant à devenir évangile, donc plus humain. […] Judas est la figure qui nous fait le mieux comprendre que nous sommes la brebis perdue que Jésus refuse de condamner pour ses escapades et à qui il manifeste une attention particulière en la portant sur sa croix dans ses bras miséricordieux[2] », pour autant que nous y consentions évidemment.
Alors, en ce jour, délaissons la mine abattue, relevons la tête et tournons-nous vers la Lumière pascale qui vient et l’ombre sera incessamment derrière nous, fils et filles prodigues. Le Père de toute miséricorde accourt à notre rencontre en cette montée pascale. N’entendez-vous pas déjà son éternel mot d’amour en Jésus-Christ : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23, 43). Quel admirable et inestimable tableau, n’est-ce pas ? Le contempler, c’est y vivre ! Bienheureuse montée pascale et Joyeuses Pâques !
Bénédiction et union de prière !
Dany Charland – danycharland173@gmail.com
[1] Cité dans André Daigneault, Au cœur de la misère la miséricorde, Charlesbourg/Montréal, Éditions Sciences et Culture/Les Éditions le Renouveau Charlesbourg, 1985, p 138.
[2] Gérald Chaput, « Notre frère Judas » (2018-B-Mt 26, 14-25-Mercredi saint) »,« Lire pour Vivre », [En ligne] https://www.diocesevalleyfield.org/fr/a-lire-pour-vivre/2018-b-mt-26-14-25-mercredi-saint-notre-frere-judas (page consultée le 7 avril 2025).

DROIT D’AUTEUR
La méditation peut être partagée à toutes et à tous, en tout ou en partie, mais le nom de l’auteur et l’indication du centre le Pèlerin avec l’adresse du site (www.lepelerin.org) doivent être inscrits, car les droits d’auteur demeurent. Merci de votre compréhension.