Évangile du Mardi 9 mai 2023 – 5e semaine du Temps pascal (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Je vous donne ma paix » Jn 14, 27-31a
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. Désormais, je ne parlerai plus beaucoup avec vous, car il vient, le prince du monde. Certes, sur moi il n’a aucune prise, mais il faut que le monde sache que j’aime le Père, et que je fais comme le Père me l’a commandé. »
Méditation
“Le pilier de la vie religieuse, ce n’est ni le temple, ni Jérusalem, ni les sacrifices ni les holocaustes. Ce n’est même plus la nation ou le groupe social; c’est le coeur, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus intime, de plus profond et de plus personnel dans l’homme. […] Quand tout est perdu, il reste le coeur. C’est de là, et de là seul, que la vie peut repartir.”[1]
Ces mots magnifiques d’Éloi Leclerc (l’humble franciscain auteur de Sagesse d’un pauvre), je viens de les découvrir aujourd’hui dans un livre qui m’a été offert. Et je les ai trouvés comme un si bel écho au passage de l’Évangile d’aujourd’hui. Nous voilà tout à la fin du chapitre 14 de l’Évangile de Jean, chapitre souvent intitulé: discours des adieux. Ces paroles débordantes d’émotion Jésus les offre juste avant sa passion et sa mort. Alors qu’Il devinait l’immense tristesse et la désespérance qui guettait ses disciples les plus proches, Il commença à leur parler par ces mots: “Que votre cœur ne soit pas bouleversé …” (comme nous le méditions vendredi dernier). Et puis, à la fin du chapitre, Il redit pratiquement les mêmes mots pour tenter de les rejoindre (au verset 27): “Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.”
Dans ses paroles d’adieu, dans ses mots qui tentent d’adoucir la peine de la séparation – sa peine à Lui et celle des disciples – Jésus va droit à l’essentiel: le coeur, notre coeur. Il sait tellement que “C’est de là, et de là seul, que la vie peut repartir”. Jésus le sait et nous l’a enseigné – au Pèlerin, combien nous l’apprenons nous aussi, à oser découvrir cette immensité qui habite notre coeur profond -. “Ce qu’il y a de plus intime, de plus profond et de plus personnel” en nous, Jésus cherche à le connecter à Lui. Lui qui est LA Parole, Il cherche inlassablement à mettre notre coeur en communion avec ce qu’Il EST: Parole de consolation, Parole de Présence qu’aucune nuit, qu’aucune mort, ne pourront jamais éteindre.
Quand Il dit: “Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix […]”, ce ne sont pas juste des mots … Il est “paix” de notre cœur. Il se donne Lui-même comme paix pour nos cœurs prisonniers de la peur. Peur des séparations, peur des ruptures et des distanciations, peur des échecs dans nos relations. Peur encore des blessures anciennes enfouies dans le tissu intérieur de notre cœur, et qui soudain, au détour d’une conversation anodine, s’ouvrent à nouveau sans qu’on s’y attende. Son “Je te donne ma paix” murmuré avec tant de tendresse est l’unique remède là où nos craintes paralysent la V(v)ie, les liens, la communion…
“Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous.” Jésus re-vient habiter là, habiter nos peurs d’aimer, nos blessures, nos solitudes pour y ÊTRE notre paix, pour que de là-même la V(v)ie puisse repartir. “Quand tout est perdu, il reste le cœur. C’est de là, et de là seul, que la vie peut repartir.”
Dans l’Évangile de Jean le mot “bouleversé” me touche toujours. Il me dit combien Dieu connaît le cœur humain, qu’Il est « le Dieu du cœur humain » comme disait si bien saint François de Sales. Il me rappelle les mots poignants du prophète Osée : “Comment t’abandonnerais-je, Éphraïm, te livrerais-je, Israël? Comment te traiterais-je comme Adma, te rendrais-je semblable à Çeboyim? Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent.” (Os. 11,8) La Bible de Jérusalem explique dans une note à ce verset que ce mot “bouleversé” (dans sa langue originelle) est un terme très fort, utilisé pour parler de la destruction des villes coupables. Le prophète fait comprendre que le châtiment annoncé est comme vécu d’avance dans le cœur de Dieu. Alors je comprends que Jésus – au moment où Il utilise ce même mot en faisant ses adieux aux siens – vivait d’avance dans son cœur ce bouleversement qui allait les secouer, les troubler profondément et leur causer une émotion si violente.
Et aujourd’hui ? N’est-Il pas également touché jusqu’au plus profond de ses entrailles par ce qui nous “bouleverse”, par ce qui “détruit” en nous le plus sacré, le souffle de V(v)ie ? Il ne peut nous abandonner là, Il re-vient continuellement pour y être-avec-nous, l’Emmanuel, le Victorieux. “Comment t’abandonnerais-je, Éphraïm ? Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent.” Il nous l’a promis (Jn 14,30) et sa Résurrection en est la preuve : le prince du monde n’a sur Lui aucune prise. Il est libre.
Et Jésus termine ses mots d’a-Dieu avec cette Parole sublime : « il faut que le monde sache que j’aime le Père ». Cette Parole m’a elle aussi toujours beaucoup touchée, comme si là, Jésus nous livrait le secret le plus intime de son cœur. Comme s’Il nous disait : « Je pars, ma vie au milieu du monde s’achève, vous pouvez tout oublier de ma vie …, mais que le cœur de mon cœur soit connu de tous : un Amour unique a accaparé toutes les fibres de mon être, « j’aime mon Père ».»
“A travers la plus épaisse muraille du plus sombre cachot,
L’étroite fente dans le mur suffit pour attester le soleil.
Ainsi dans ce monde opaque et lourd:
La rencontre furtive d’un saint suffit pour attester Dieu.”[2]
Ce saint par excellence, le tout premier parmi tous ses frères en humanité, n’est-ce pas Jésus lui-même ? Toute une existence humaine donnée jusqu’au bout, pacifiée pour n’être plus que paix pour chacun de ses frères et sœurs, qui n’a eu d’autre raison que l’Amour. L’amour pour son Père et le nôtre.
Cette expérience, les disciples l’ont faite, profondément, en écoutant l’a-Dieu du Fils. Aujourd’hui, c’est à nous qu’Il l’offre : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. »
Laurence Vasseur (vasseurlaurence@hotmail.com)
[1] Michel Sauquet, Eloi Leclerc ou l’espérance franciscaine (biographie), Ed. Salvator, 2018, p. 94, qui cite des lignes d’Eloi Leclerc dans Le royaume caché.
[2] Ibidem, p.91. Citation de Henri de Lubac, s.j., De la connaissance de Dieu, Paris, 1948.
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