No 30 – série 2024-2025
Évangile du mardi 8 octobre – 27e semaine du Temps ordinaire
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Une femme nommée Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part » Luc (10, 38-42)
En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Méditation
« Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre »1
Portant un gilet bleu et une montre à gousset, un lapin blanc court à perdre haleine : « En retard, toujours en retard ! » Par qui est-il poursuivi ? Où va-t-il ? Les Aventures d’Alice au pays des merveilles2, dès ses premières pages, nous plonge dans la maladie de l’époque moderne : la course après le temps ou plutôt la dilution du moi dans les urgences qui s’accumulent jusqu’à la noyade. « En retard, toujours en retard ! » Les lapins blancs d’aujourd’hui n’ont plus de montre joliment glissée dans le gousset d’un gilet bleu. De nos jours, une montre connectée enchaîne au poignet les alertes. Sur notre bureau, un ordinateur accumule les mails. Un ordinateur portable poursuit notre esprit du bureau à la chambre à coucher. Les informations achèvent la traque en envahissant nos tablettes. Un écran géant nous regarde. Même dans notre lit, le téléphone vibre, s’illumine de pastilles et sonne pour exiger sa part d’attention. Notre cerveau flambe, c’est l’incendie du moi.
« À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille »3
Comme Marthe, notre âme est « accaparée par les multiples occupations ». Notre cœur se déchire entre des directions opposées. Affairés, nous nous dispersons. Que cela soit le syndrome d’épuisement professionnel, le sur-travail féminin au foyer ou la noyade dans les informations en continu, notre cœur ne connaît plus de repos.
Pourtant, notre cœur n’est-il pas fait pour la rencontre de Dieu ? Toi qui vins à ma rencontre, que serai-je sans toi ? Ne sommes-nous pas créés pour louer, respecter et servir notre Créateur ? Notre nature humaine s’accomplit en se tournant vers Celui qui est dans l’impulsion de notre cœur. Vivre en aimant son Créateur est naturel à l’homme.
Mais, comme Marthe, on peut recevoir Jésus chez soi sans Le rencontrer. Dieu peut entrer dans notre village et nous pouvons faire défaut. Nous pouvons inviter Jésus sans nous tourner vers Lui. La foi nous met à proximité d’un Jésus que l’on délaisse.
Pourtant, Jésus ne se lasse pas et frappe la porte de l’ordinaire. Qu’est-ce que la splendeur d’un petit matin qui redonne la lumière ? L’ange du jour bat des ailes dans le gris métallique, laisse quelques plumes d’un bleu sombre, puis allume une clarté. C’est le miracle du jour ! Disons-nous comme Catherine, dans Lorenzaccio, qui contemple l’immense d’un soleil qui se donne : « Regardez, ma mère chérie ; que le ciel est beau ! que tout cela est vaste et tranquille ! comme Dieu est partout ! »4 Avons-nous l’oreille pour écouter Jésus et trouver notre « assise aux pieds du Seigneur » ? « Et pourtant, te louer, voilà ce que veut un homme, parcelle quelconque de ta création. C’est toi qui le pousses à prendre plaisir à te louer parce que tu nous as faits orientés vers toi et que notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi. »5
Le matérialisme qui écarte l’eau vive qu’offre Jésus assèche notre cœur. Assoiffés, nous finissons par reprocher à Dieu son inertie : « Seigneur, cela ne te fait rien… » Marthe jette son malaise sur son entourage qu’elle culpabilise et ne s’adresse à Jésus que pour Le rudoyer : « Dis-lui donc de m’aider. »
Dans la détresse de notre vie, le Seigneur interpelle : « Marthe, Marthe ». Notre « souci » et notre agitation devraient bien nous crier que l’on ne se remplit pas de stress en espérant trouver la paix. Mais, nous sommes sourds à notre cœur. Au multiple, à l’éparpillement, le Seigneur oppose la cicatrisation de l’unité : « Une seule est nécessaire. » Le chemin de notre unité passe par notre cœur, ce lieu intime où nous pouvons nous rejoindre pour trouver Dieu. La « meilleure part » est accessible au milieu des occupations d’un métier ou d’une vie de famille. Car, la saveur divine vient de la prière qui tend l’oreille.
Même une vie bien occupée connaît des creux qui peuvent être des occasions de Dieu : attendre un bus, pourquoi ne pas prier ? Attendre le téléchargement d’une pièce jointe, pourquoi ne pas se reposer dans l’invocation du Nom du Seigneur ? C’est par le cœur de l’homme que la matière prend son sens. Dans l’évangile de Luc, la page sur Marthe et Marie vient juste après celle du Samaritain (Lc 10, 25-37) qui se rend proche d’un voyageur laissé pour mort au bord du chemin. La question de Jésus : qui « a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » (Lc 10,36) résonne encore lorsque nous lisons l’agitation de Marthe : qui se fera le prochain du Christ ? Qui se rendra disponible à Son écoute ? Le texte qui suit la page de Marthe et Marie donne la clé de la réponse : les disciples demandent à Jésus comment prier. « Père, fais connaître à tous qui tu es » (Lc 11,2, traduction TOB). Cette présence à soi et à Dieu est un fruit de la prière.
Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
1- Louis Aragon (1897-1982), Le Roman inachevé, « Prose du bonheur et d’Elsa »
2- Roman de Lewis Carroll (1832-1898), chapitre 1.
3- Louis Aragon, Le Roman inachevé, « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »
4- Alfred de Musset (1810-1857), Lorenzaccio, acte I scène 6.
5- Saint Augustin (354-40), Les confessions, Livre I, 1.1.
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