La vérité nourrit – Méditation du mardi 7 janvier 2025

No 107 – série 2024-2025

Évangile du mardi 7 janvier Mardi après l’Épiphanie

Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

Multipliant les pains, Jésus se manifeste comme le Prophète (Mc 6, 34-44)

En ce temps-là, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement. Déjà l’heure était avancée ; s’étant approchés de lui, ses disciples disaient : « L’endroit est désert et déjà l’heure est tardive. Renvoie-les : qu’ils aillent dans les campagnes et les villages des environs s’acheter de quoi manger. » Il leur répondit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répliquent : « Irons-nous dépenser le salaire de deux cents journées pour acheter des pains et leur donner à manger ? » Jésus leur demande : « Combien de pains avez-vous ? Allez voir. » S’étant informés, ils lui disent : « Cinq, et deux poissons. » Il leur ordonna de les faire tous asseoir par groupes sur l’herbe verte. Ils se disposèrent par carrés de cent et de cinquante. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction et rompit les pains ; il les donnait aux disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. Il partagea aussi les deux poissons entre eux tous. Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés. Et l’on ramassa les morceaux de pain qui restaient, de quoi remplir douze paniers, ainsi que les restes des poissons. Ceux qui avaient mangé les pains étaient au nombre de cinq mille hommes.

Méditation – La vérité nourrit

Dans les villes, les hommes vivent leur quotidien comme seule réalité. Ils souffrent leurs jours comme une impasse qui se rétrécit. Accablée par l’agitation d’une vie trépidante, blessée par les maladies, la foule, qui a quitté la ville, est venue à Jésus, elle s’est amassée instinctivement autour de Celui qu’elle a reconnu comme un berger. Chargée de soucis, elle est venue, courbée par les tracas d’une vie qui plie vers la terre. La foule est venue et elle a écouté. Quand Jésus parle, la foule n’entend pas des mots. Elle a rencontré des paroles qui étaient quelqu’un. Elle a écouté ce qui nourrit. Le Christ, tout donné au Père, est un pain offert aux hommes. Cette foule l’a senti… En voyant le Christ, la foule a senti qu’une autre manière de vivre était possible. La simplicité de Son rapport à Dieu allégeait la terre.

Face à ce miracle de la multiplication des pains, notre raison s’affole : Dieu peut-il être une nourriture ? La vérité peut-elle se manger ? « Il est vrai que nous vivons dans des villes, nous avons nos métiers, nos familles. Il est vrai aussi que nous, hommes du XXIe siècle, nous ne savons plus que faire de l’image de Dieu. Nous sommes des gens de raison. Nous avons parcouru un long chemin et nous avons « la connaissance », nous croyons en l’économie, la raison et le progrès et nous regardons les siècles passés du haut de cette croyance avec mépris. Le rationnel manque cruellement de poésie. » (1)

Notre conception de la vérité est si pauvre, notre objectivité présente une vérité si squelettique qu’elle n’est plus un pain savoureux qui rassasie. Les foules errent sans berger. Comme une plante coupée de la terre où s’étendent ses racines, nous regardons la Création de Dieu comme si elle n’était qu’une matière privée d’éternité. Ce monde sans Dieu, rétréci aux dimensions de notre vanité, est une vérité immangeable. Avec le romancier Louis-Ferdinand CÉLINE, nos contemporains soupirent : « La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde c’est la mort. » (2) Tout le monde le comprend, la vérité d’un monde voué à la mort n’est pas comestible. La foule massée autour de Jésus le savait bien. Dans cette optique, l’assaisonnement du mensonge est une drogue nécessaire pour supporter une vie si misérable : « la vie n’est qu’un délire tout bouffi de mensonges (…). La vérité c’est pas mangeable. » (2)

Mais, cette foule a découvert autre chose auprès de Dieu. Cette découverte que le monde est habité par Dieu se nomme « poésie », on peut aussi l’appeler « foi ». Car, la foi se nourrit d’éternité, puisque comme le dit Saint Paul,« croire en Dieu, c’est une façon de posséder déjà les biens qu’on espère, c’est être persuadé que les choses qu’on ne voit pas existent vraiment. » (Hb 11,1 traduction Parole de Vie). Cette présence de l’éternité se nomme également « amour ».

Dans ce monde, nous avons la responsabilité de « faire la vérité » (Jn 3,21) comme la dynamique d’un amour qui se donne. Etty HILLESUM, cette jeune juive écrivit son journal spirituel en pleine guerre mondiale. Pourchassée par les nazis, elle avait conscience que chaque action d’amour enrichissait le monde. À des propos qui célébraient la violence révolutionnaire, elle rétorqua : « Soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu’il n’est déjà . » C’est ainsi qu’Etty répondit au vieux communiste Klaas, qui s’étonnait de son refus de la haine et y voyait « un retour au christianisme ». Alors, à cette constatation désabusée, elle sourit  avec un brin de fantaisie : « – Mais oui, le christianisme : pourquoi pas ? » (p.218) (3).

Alors le disciple de l’Éternel devient lui-même ce pain offert : « Donnez-leur vous-mêmes à manger », disait Jésus. Dans les baraquements du camp de transit qui amassaient les Juifs, Etty s’est faite tendresse et conscience aimante auprès des prisonniers. Elle termina son Journal en ces termes : « J’ai rompu mon corps comme le pain, je l’ai partagé entre les hommes. Et pourquoi pas ? Car ils étaient affamés et sortaient de longues privations » (4) Le modeste service fait la vérité ; l’amour rassasie. Même dans des circonstances impossibles, les « cinq pains » d’un amour partagé nourrissent les âmes. 

Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr

Notes :

(1) Vivre en solitude, réalisé par Sylvain GIRARD (2021), documentaire sur les ermites libanais diffusé par KTO.
(2) Louis-Ferdinand CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, (1932).
(3) Etty HILLESUM, (1914-1943), Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork. Paris, Points-Seuil, 1995.
(4) p.245-246.



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