Méditation quotidienne du mardi 27 février : Grand ménage annuel du Carême : assainir et non asservir (No 163 – série 2023-2024)

Évangile du Mardi 27 février – 2e semaine de Carême (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Ils disent et ne font pas » Mt 23, 1-12

En ce temps-là, Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples, et il déclara : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. »

Méditation

Chers frères/soeurs dans le Christ, en lisant et méditant le texte évangélique du jour, voilà que monte étrangement à ma conscience cette réminiscence de la corvée du grand ménage annuel dont parlait souvent ma mère au temps du Carême concomitant ou précédant de peu l’arrivée du printemps. Carême et grand ménage : n’est-ce pas des notions et réalités quelque peu ambigües, parfois rebutantes, un fardeau dans bien des cas du point de vue du lieu commun ? Deux moments d’ennui, de pénitence repentante, bref, de platitude, diront certains ouvertement ou à mots couverts ? Pour le bien-être et/ou pour le bien-paraître ? Un peu des deux, hasardons-nous du bout des lèvres ? Or, le prophète Isaïe et Jésus nous interpellent aujourd’hui, au cœur de la Parole de Dieu, à convertir – à voir et sentir a(A)utrement – ce temps privilégié en vue, non pas d’un asservissement de notre être à une kyrielle d’obligations, de privations et d’abnégation extrinsèques, mais à un moment d’assainissement intrinsèque de notre être relationnel en Dieu. Le Carême se présente comme un temps opportun, « donné justement en/au présent », afin de passer davantage du bien-paraître défigurant au bien-être identitaire conformé au Christ, et, somme toute, de la mort à la vie en plénitude. Jésus, à la suite d’Isaïe, nous convie à un temps offert pour faire la vérité-qui-rend-libre (Jn 8, 32b) en nous, autour de nous et en Dieu. Et, en ce sens, il m’invite, et peut-être toi aussi de même que « nous ecclésialement », à passer au prisme du cœur profond quelques questionnements évangéliques pour discerner et départager l’essentiel de l’accessoire. Notamment, quels sont les « biens-paraîtres pharisaïques » qui me collent à la peau ? Ces rôles de parfaits faux-semblants constitutifs de cet « “être-comme”…des dieux » (Gn 3, 5) que j’incarne compulsivement en obéissant aux diktats protecteurs de la partie blessée en moi ? En vérité, cette part de moi sauve prétendument la face, a fortiori mon visage trompeur à deux faces, et les apparences, mais me détourne de moi-même et de l’a(A)utre, fait obstacle à la libre circulation de la Vie de Dieu, me laissant sens dessus dessous, vautré dans un mal-plus-fort-que-moi qui m’afflige et atteint subrepticement l’autre peu ou prou ? Entrer dans l’e(E)sprit du Carême, c’est, pour moi, « remuer du doigt » (v. 4) pour déposer ce fardeau au bord de la route, me mettre en chemin et en état de consentir et d’accueillir la Miséricorde de Dieu en/par/avec Jésus-Christ dans la communion de l’Esprit. Mais, suis-je prêt à ce que Dieu s’approche de moi avant même que je m’approche de Lui ? Suis-je disposé, en vérité et liberté, à lui laisser mystiquement baigner et purifier mes misères – mes doutes destructeurs, mes pensées négatives, hostiles et désespérés, toutes les forces mortifères de dislocation, confusion, stupéfaction qui m’agitent, tous mes passages de la vie à la mort – dans l’eau vive de son Amour Miséricordieux et Salvateur ? Suis-je ainsi enclin à faire ce pas de plus, sous l’impulsion de sa Grâce « transdynamisante[1] », pour démanteler ascétiquement, pierre par pierre, ce mur de fortification ce qui me tient en surface de moi-même et à distance de l’a(A)utre : prochain, Création et Dieu Lui-même ? Suis-je prêt, en somme, à faire bienveillamment un grand ménage en moi-même, à emboîter le pas de Jésus-Christ et à « dis-paraître » pour mieux me retrouver par Lui, avec Lui et en Lui dans le désert de ce Carême, afin d’assainir mes prétentions et mes vanités asservissantes qui me donnent de « paraître-comme » au lieu « d’être-véritablement-et-librement-avec » ? Enfin, suis-je prêt à m’élancer pour aller au bout de ce cheminement d’intégration psycho-spirituelle, ascétique et mystique, et à goûter de plus en plus la joie imprenable de « paraître les mains vides[2] » parce qu’entièrement remplies de la Présence Amoureuse et Miséricordieuse du Dieu de Jésus-Christ ? Mais, rappelle à juste titre, Simone Pacot : « Il est essentiel de quitter l’ancien pour pouvoir accueillir le nouveau. N’omettons pas cette étape[3] […] L’Esprit nous assure que, dans la grâce de Dieu, nous pouvons changer de direction, renoncer aux vieux vêtements, entrer dans une vie renouvelée. Nous pouvons faire quelque chose de ce qui nous est arrivé. Nous ne sommes pas enfermés dans le passé, quelque soit notre état il y a toujours possibilité de faire un pas vers la vie[4] ». Toutefois, ce n’est pas un chemin à arpenter seul, mais en présence accompagnatrice de l’a(A)utre, car « je ne sais pas [toujours] où va mon chemin, mais je marche [certes] mieux quand ma main serre la tienne ». Puisse ce Carême nous offrir la possibilité de rencontrer sur notre chemin de véritables témoins-pèlerins de leur vie-telle-qu’elle-advient qui, à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous permettent de nous centrer en nous-mêmes pour nous décentrer vers l’a(A)utre en nous surcentrant dans la communion au Dieu de Jésus-Christ[5]. De même, puissions-nous, à la suite de Jésus-Christ, devenir respectivement entiers et uniques en nous-mêmes, afin de devenir pour les a(A)utre ce qu’il est pour chacun d’entre nous et pour tous : un artisan-serviteur de la paix, de la réconciliation et de la Vie en abondance ?  En ce sens, confions-nous à notre Père dans un véritable élan filial par cette prière[6] que nous sommes invités à prononcer telle une Parole de Dieu, fièrement portée symboliquement comme dans un phylactère[7], qui donne Vie aux lettres mortes de nos vies : « Dieu de puissance et de miséricorde, éloigne de nous, dans ta bonté, tout ce qui nous arrête, afin que sans entrave, ni d’esprit ni de corps, nous accomplissions d’un cœur libre ce qui vient de toi. Par Jésus, ton Fils, notre Seigneur, qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit, Dieu, pour les siècles des siècles. Amen. Bon et Bienheureux Carême à vous !

Bénédiction et union de prière !

Dany Charland


[1] Expression conceptuelle inédite de Xavier Thévenot, cité dans Simone Pacot, L’évangélisation des profondeurs. Un chemin vers l’unité intérieure, Paris, Cerf, coll. « Points Vivre », P4149, 2015, p. 45 & p. 85.

[2] Selon l’expression consacrée et célèbre de Saint Thérèse de Lisieux dans son « Offrande à l’Amour Miséricordieux » (1895).

[3] Simone Pacot, op. cit., p. 237.

[4] Ibid., p. 251.

[5] «Centrer, décentrer et surcentrer » : catégorie conceptuelle inspirée de Teilhard de Chardin.

[6] Tirée du Prions en Église, Prière d’ouverture de la liturgie du lundi 12 février 2024 (Temps ordinaire no 32).

[7] Dans la religion juive, chacun des deux étuis cubiques de cuir contenant un petit morceau de parchemin sur lequel sont inscrits quatre passages essentiels de la Loi, fixés par des lanières, lors de la prière, au front et au bras gauche. Désignent aussi les différentes bulles dans les bandes dessinées.

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