Évangile du Mardi 26 septembre – S. Jean de Brébeuf et Isaac Jogues, prêtres, et leurs compagnons, martyrs – 25e semaine du Temps ordinaire (tiré d’AELF)
« Si le grain de blé meurt, il porte beaucoup de fruit » Jn 12, 24-26
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. »
Méditation
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Évangile du jour, en cette commémoration des saints martyrs canadiens, nous achemine en plein paradoxe. Qu’à cela ne tienne, paradoxe, du latin paradoxum, signifie « absurde en apparence mais réellement vrai ». Jung soutenait d’ailleurs que le paradoxe est l’une de nos possessions spirituelles les plus précieuses et un grand témoin de la vérité. À titre d’illustration, ces propos du P. Isaac Jogues, saint martyr canadien et saint patron de la paroisse de mon enfance : « Nous sommes poussés à demander avec importunité d’être envoyés dans ces contrées où, comme il y a plus à souffrir, on témoigne aussi à Dieu plus sincèrement l’amour qu’on a pour lui ». Fou du Christ et de la Croix avec ses frères pour le meilleur et dans le pire, il nous révèle que ce qui fait le martyr ce n’est pas tant la mort, que la cause pour laquelle il offre sa vie et le sens qu’il donne à son supplice. En effet, le vocable « martyr » (du grec martus ou du latin martyrus) désigne littéralement le témoin, et les saints martyrs canadiens sont ici, en dépit des accents colonialistes contextuels de cette époque dont on ne peut faire fi, les fervents témoins d’un Amour qui dépasse les frontières et les bornes, jusqu’au trépas, qui surpasse tout en Dieu par Jésus-Christ dans l’Esprit. Or, à première vue, la lecture des textes bibliques du jour et des Relations jésuites frappe la sensibilité et l’imaginaire. Cette lecture peut même, jusqu’à un certain point, rebuter et nous faire passer à côté du sens qui s’y révèle comme Parole de Dieu si nous mettons l’accent sur l’absurdité prévalente de la mort au lieu même de la Vie et de l’Amour. « Aux yeux des insensés, ils ont paru mourir; leur départ a été tenu pour un malheur, et leur voyage loin de nous pour un anéantissement, mais eux sont en paix. […] [C]omme l’or au creuset, il les a éprouvés, comme un parfait holocauste, il les a agréés. […] Ceux qui mettent en lui sa confiance comprendront la vérité et ceux qui sont fidèles demeureront auprès de lui dans l’amour, car la grâce et la miséricorde sont pour ses saints et sa visite pour ses élus », professe Le Livre de la Sagesse (3, 2-3.6.9). Mais que dévoilent pour nous ici et maintenant tous ces divins témoignages d’autres temps, d’autres mœurs, d’autres lieux, mais qui encore et toujours « transpirent » (trans-spir) : littéralement, nous portent spirituellement au-delà, « transdynamisés » (Xavier Thévenot) dans l’Éternel Présent du Royaume Dieu en marche ? Trop souvent pervertis, déviés ou mal intégrés, le texte évangélique du jour et la vie des saints martyrs canadiens nous conduisent à une morbidité stérile alors qu’en vérité leur effet de sens convie plutôt à la fécondité d’une vie abondante. Mais, pour qu’il en soit ainsi (Amen), il s’agit de ne pas nous fourvoyer sur la signification de la mort dont il est ici question. Telle que la liturgie funéraire le proclame avec foi : « dans la mort, la vie n’est pas détruite, elle est transformée ». Il s’agit donc de ne pas se tromper de mort ni de vie. La Bonne Nouvelle, c’est que Jésus nous appelle, pour notre plus grand bien et notre salut, au don de vie dans le sillon de son Divin Amour. En Jésus-Christ, donner notre vie avec amour, s’y abandonner avec foi, n’est pas la perdre, encore moins s’y perdre. A contrario, nous avons dès aujourd’hui tout à gagner, puisque s’y ouvre un chemin de libération de ce qui nous possède et une voie de recouvrement de ce que nous sommes en vérité, des êtres de Relation, de Vie, d’Amour, de Communion, voire des fils et filles de Dieu dans l’Unique Fils. En effet, le mystère réside justement dans le fait que l’amour ne se perd jamais en se donnant. Au contraire, il se multiplie exponentiellement en se partageant, car il est fécond de par sa nature essentielle (essen-ciel). Et, y « consentir, c’est être sauvé », conclut l’apophtegme de Saint Bernard de Clairvaux. Consentir, c’est convertir la lourdeur du plomb « terreux-sulfureux » de notre vie en or du Royaume, au creuset du « feu » gracieux de l’Amour de Dieu au cœur de notre être. C’est prononcer un oui inconditionnel à la vie et accepter de porter un regard neuf sur ce qui est à accueillir, à transformer, à guérir, mais avant tout, à aimer en nous-mêmes et autour de nous, à la manière du Dieu de Jésus-Christ. À l’instar de ce grain de blé tombé en terre qui, en mourant, fait éclater son enveloppe contraignante et s’ouvre à une vie croissante et fructifère, nous sommes invités à germer de la terre de nos enfouissements mortifères et à recueillir gracieusement les fruits de vie, d’amour et de salut qui abondent en nous, entre nous et autour de nous. Qui perd ainsi « sa vie », gagne assurément en relation d’Amour ! Mais, être hélas éperdument épris de « sa vie » au grand dam de l’Amour de Dieu en nous, c’est, à n’en pas douter, mourir à petit feu en perdition et déréliction. Trop souvent nous en faisons l’expérience dans les passages à vide de nos existences. Maître Melchisédech affirmait sans ambages : « Ce que l’homme ne veut pas apprendre par la sagesse, il l’apprendra par la souffrance ». C’est qu’alors nous refusons, souvent bien inconsciemment, de renaître perpétuellement de nos cendres, tel le phénix, et abdiquons la joie du don d’Amour sans cesse renouvelé qui nous relève en Dieu notre Sauveur. Rappelons-nous qu’à l’instar de Dieu, à son image et à sa ressemblance : « Je me donne quand j’aime, et alors ce n’est pas donner, c’est échanger » (Bertrand Vac). La véritable richesse se trouve dans le partage et la communion. « Essentiellement Amour », nous ne possédons bien que ce que nous partageons et donnons. Soyons ainsi pour nous-mêmes et pour notre prochain des « petits martyrs canadiens ». Là réside la vérité du chemin de félicité sur lequel le Dieu de Jésus-Christ nous invite aujourd’hui à le rejoindre et à le suivre pour sa plus grande gloire et le salut du monde.
Bénédiction et union de prière !
Dany Charland
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