No 79 – série 2024-2025
Évangile du mardi 26 novembre – 33e semaine du Temps ordinaire
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Il n’en restera pas pierre sur pierre » (Lc 21, 5-11)
En ce temps-là, comme certains parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Ils lui demandèrent : « Maître, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? » Jésus répondit : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi”, ou encore : “Le moment est tout proche.” Ne marchez pas derrière eux ! Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. »
Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel. »
Méditation – Plus profonde que le mal, la bonté
Jésus porte son regard sur l’histoire venant après lui. La prédiction de la destruction du Temple, aussi spectaculaire qu’elle soit, n’est qu’un début. Jésus ne s’attache pas aux ex-voto qui décorent les constructions de pierre. Les édifices à entretenir ne retiennent pas plus son attention. Il ne pose guère son regard sur les « belles pierres », mais regarde « le temple de son corps » qu’est l’Eglise. La présence de Dieu dans l’histoire des hommes ne se résume pas à un Temple ; ce que Jésus nomme la « maison de mon Père » (Jn 2,16) relève de l’amour et se vit dans un coeur de disciple.
Maniant des images apocalyptiques, Jésus ne décrit aucun contexte politique. Contrairement aux prophètes de l’Ancien Testament qui poseraient la question concrète : « Faut-il obéir à Rome ? », Jésus ne se concentre pas sur les données politiques qui s’imposent avec force à tel moment, puis se diluent dans le fil de l’histoire. Il ne donne aucun conseil comme le faisait en son temps le prophète Jérémie qui réfléchissait aux alliances diplomatiques : faut-il choisir l’Egypte ou Babylone ?
C’est de plus haut que Jésus voit l’histoire : à partir de la croix qui a déjà sauvé le monde. Jésus n’est pas au même niveau que les prophètes anciens. Le dialogue avec le Père est le diapason qui évalue le monde. La vigilance de Jésus concerne la vérité de la
foi, la confiance au Père au sein d’un monde bouleversé : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer ». Le calme de la foi refroidit l’incendie des imaginations qui délirent.
Ce texte avertit notre époque où la Présence du Seigneur est rangée sur le même rayonnage que les objets de consommation. La course au pouvoir s’engage : « beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi”, ou encore : “Le moment est tout proche.” » Quel paradoxe ! Les signes détournent du Seigneur. Sur internet, les fausses prophéties pullulent… Au supermarché du virtuel, les prophètes auto-proclamés écoulent leurs produits. Des vidéos exposent les cartes, les dates, les lieux qui organiseront la fin du monde… On consomme de la fin du monde comme on consomme une drogue. Une fascination morbide détourne de l’action en se donnant le frisson de l’initié. Celui qui croit savoir à l’avance ce qui se passera n’a plus à se convertir, ni à agir, car il sait… Pourtant, la consigne du Seigneur est claire : « Ne marchez pas derrière eux ! ». Le disciple marche derrière son maître et non derrière de faux prophètes.
Pourtant, l’appel à la foi qui déclare « ne soyez pas terrifiés » accompagne l’évocation des guerres et des désordres, des tremblements de terre et des famines. Les guerres se répandent à notre époque malheureuse. Le général prussien Clausewitz définissait la guerre comme « un duel à plus vaste échelle » où deux volontés s’affrontent. Dans ce face-à-face, les volontés chauffées à blanc montent aux extrêmes : « La guerre est un acte de violence dont l’objectif est de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. Et il n’y a pas de limite à la manifestation de cette violence. » (1) Alors, il n’existe de violence qu’on ne déploie pour écraser l’autre. La guerre fait perdre la tête en s’enivrant d’absolu : un petit bout de religion ou d’idéologie servent de combustible pour mener les hommes aux dernières extrémités de la cruauté.
Devant le Mal, le genre apocalyptique repose sur une tension entre l’avertissement (qui évite la stupéfaction) et l’encouragement (qui invite à l’action). Cette tension du langage apocalyptique tient le croyant en éveil devant le Mal tout en écartant l’angoisse muette ou la fascination complice. Sans l’avertissement, les hommes pourraient se croire les maîtres de l’histoire ; ils s’imagineraient que tout dépend de leur projet : « refaisons l’homme depuis zéro » se disent les dictateurs. Les totalitarismes du XX°siècle ont exploré cette voie en se fondant sur l’idole de la race (pour le nazisme) ou de l’histoire (pour le communisme). Aujourd’hui, le transhumanisme explore cette illusion en croyant à son dieu Technologie. Sans l’avertissement, les hommes oublieraient que le Mal fait partie mystérieusement de notre histoire et que nous avons
à le combattre. Sans l’encouragement, les hommes sombreraient dans le défaitisme, ils s’effondraient dans le catastrophisme pour lequel seul le Mal existe. Le millénarisme d’hier et les déclinologues d’aujourd’hui illustrent cette fascination pour la destruction totale. Mais, contre ce goût de la mort, l’évangile rappelle que, malgré les guerres, Dieu reste maître de l’histoire. La Bible tient un langage qui avertit de l’existence du Mal et qui encourage sans jamais condamner le monde comme irrémédiablement perdu, ni fuir notre monde. « Tout est fichu… » disent les survivalistes qui creusent des bunkers anti-atomiques. « Allons sur Mars ! » disent ceux qui préfèrent l’évasion.
Ce langage de l’avertissement devant le Mal et de l’encouragement de la liberté a un but : laisser surgir la bonté. La religion est cette expérience qui vérifie que la bonté existe : « Aussi radical que soit le mal, il n’est pas aussi profond que la bonté. Et si la religion, les religions, ont un sens, c’est de libérer le fond de bonté des hommes, d’aller le chercher là où il est complètement enfoui. » (2) C’est ainsi que s’exprimait le philosophe Paul Ricoeur. « Nous sommes accablés par les discours, par les polémiques, par l’assaut du virtuel. Or la bonté est plus profonde que le mal le plus profond. Il nous faut libérer cette certitude, lui donner un langage. » (2) Dans le langage de la liturgie, une théologie discrète rappelle que la loi de la prière renoue avec la bonté.
Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
Notes :
(1) Clausewitz (1770-1831), De la guerre (Livre I).
(2) Paul Ricoeur, entretien du 22 avril 2000, publié dans La Croix du 28 décembre 2000.
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