No 121 – série 2024-2025
Évangile du mardi 21 janvier – 2ème semaine du temps ordinaire
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat » (Mc 2, 23-28)
Un jour de sabbat, Jésus marchait à travers les champs de blé ; et ses disciples, chemin faisant, se mirent à arracher des épis. Les pharisiens lui disaient : « Regarde ce qu’ils font le jour du sabbat ! Cela n’est pas permis. » Et Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu’il fut dans le besoin et qu’il eut faim, lui-même et ceux qui l’accompagnaient ? Au temps du grand prêtre Abiatar, il entra dans la maison de Dieu et mangea les pains de l’offrande que nul n’a le droit de manger, sinon les prêtres, et il en donna aussi à ceux qui l’accompagnaient. »
Il leur disait encore : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat. Voilà pourquoi le Fils de l’homme est maître, même du sabbat. »
Méditation – L’exercice de la joie
Il est facile d’utiliser la loi comme instrument d’emprise. N’importe quelle règle, même bonne, peut être dévoyée de son excellence par une ambiance de domination qui plie les volontés. Quand l’emprise est consolidée, la personne qui détient le pouvoir n’a même plus à intervenir. Un ton cassant soumet les âmes. Un geste… un silence même… enfonce l’âme dans un gouffre intérieur. Alors… l’humiliation porte au coeur une ombre froide et une honte pourrit jusqu’à la racine de la vie.
Dans son roman Madame Bovary, Gustave Flaubert dresse le portrait de Catherine Leroux, une vieille servante de ferme qui reçoit une médaille du travail. En quelques mots, il brosse le portrait d’une exploitation : « Alors on vit s’avancer sur l’estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. » La domination exerce sa violence jusque dans la récompense d’une médaille. Pliée au silence, Catherine Leroux s’avance en tremblant : « C’était la première fois qu’elle se voyait au milieu d’une compagnie si nombreuse ; et, intérieurement effarouchée par le drapeau, par les tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d’honneur du Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne sachant s’il fallait s’avancer ou s’enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les examinateurs lui souriaient. Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude. » (1)
Dans cette page d’évangile, Jésus attaque frontalement l’emprise que les Pharisiens imposaient au peuple. La piété était devenue une arme de domination. Pourtant, la Loi juive elle-même s’opposait à cette manipulation. En effet, le principe nommé « pikuach nefesh » (qui signifie « sauver une vie ») se fonde sur l’Écriture (Lv 18,5 et Ez 20,11) pour honorer la vie. Ce principe précise que la préservation de la vie humaine prévaut sur toutes les autres règles religieuses. Aucune loi ne peut rendre caduque la grande règle du « Choisis donc la vie, pour que vous viviez » (Dt 30,19). Dans cette page d’évangile, Jésus montre une application du « pikuach nefesh » au cas de David et de ses hommes qui osèrent manger les pains de propositions, pains offerts à Dieu.
Jésus comme « Fils de l’homme » se situe en interprète de la Loi : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat. Voilà pourquoi le Fils de l’homme est maître, même du sabbat. » Il indique que la loi est un exercice pour l’homme en vue de la vie. Le mot grec « askêsis » qui signifie « exercice » a donné le mot « ascèse » qui désigne l’éducation du désir qui veut aller vers son bonheur. Saint Ignace propose des « exercices » pour revenir au centre divin qui irrigue notre être : « comme se promener, marcher, courir, sont des exercices corporels, de même les différents modes de préparer et de disposer l’âme à se défaire de toutes ses affections déréglées, et après s’en être défait, à chercher et à trouver la volonté de Dieu dans le règlement de sa vie, en vue de son salut, s’appellent exercices spirituels. » (2) Quel est le signe que la vie a réussi ? La signe que la vie progresse est la joie ! L’exercice vise la joie d’être : « Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre » écrivait Blaise Pascal. (3)
Dans notre société libérale, nous pensons avoir échappé aux lois et aux emprises. On se proclame libre… « Je fais ce que je veux quand je veux… » Oui… mais ce slogan comme un insecticide détruit tout sur son passage ! Cette liberté est creuse… Et, lamentables, nous déprimons avec une liberté affamée, le ventre vide. Dans notre société de supermarchés, tout est transformé en objet à consommer, il est difficile de toucher sans condamner à la destruction : c’est la société du jetable. Les gens comme les yaourts ont une date de péremption : trop vieux ? trop malade ? Et… hop ! ces produits sont écartés des circuits de la vie. Les publicités orientent nos désirs et exercent une emprise. Les corps photoshopés qui défilent sur les écrans impriment dans notre imaginaire une ligne impossible : nous nous tordons pour nous glisser dans ce corps de rêve qui brille sur les écrans. Notre vie moderne est pleine de lois et d’impératifs… Comment briser ces lois de tristesse ?
Comment revenir à la vie ? Comment faire le ménage ? Comment formuler, pour aujourd’hui, le principe de « pikuach nefesh » ? Quels exercices pouvons-nous pratiquer pour nous rendre à la joie de vivre ? C’est tout le travail de l’ascèse moderne… c’est une cure de désintoxication vitale.
Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
Notes :
(1) Gustave Flaubert, Madame Bovary, deuxième partie, chap.8.
(2) Exercices spirituels, « première annotation », Saint Ignace.
(3) Blaise PASCAL, « Mémorial du lundi 23 novembre 1654 ».
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