Veuillez noter que les méditations cesseront le dimanche 25 juin pour la période des vacances et recommenceront en septembre prochain. Toute notre gratitude d’avoir marché avec nous et demeurons unis dans la prière.
Évangile du mardi 20 juin – 11e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Aimez vos ennemis » Mt 5, 43-48
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Méditation
En cette fin d’année scolaire et d’apprentissages de tous genres, Jésus nous surprend avec ces mots plusieurs fois répétés tout au long du chapitre 5 de Matthieu. « Vous avez appris qu’il a été dit […] Eh bien ! moi, je vous dis » : une invitation à passer au crible de sa Parole à Lui tant de choses ‘apprises’, tant de choses que nous ‘savons’ déjà presque trop … En fait, lorsque nous nous mettons à l’écoute de l’Évangile n’est-ce pas à ce continuel ‘ébranlement’ que nous sommes invités? Nous laisser secouer dans nos certitudes, dans notre vision de l’autre, de soi, du monde et même de Dieu?
Ce matin, le «Eh bien ! moi, je vous dis » de Jésus est peut-être bien celui qui nous ébranle le plus … dans notre certitude de ‘savoir aimer’. «Eh bien ! moi, je vous dis » : aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent ». « Sans doute, au Carmel on ne rencontre pas d’ennemis – écrivait[1] la Petite Thérèse de Lisieux-, mais enfin il y a des sympathies, on se sent attirée vers telle sœur au lieu que telle autre vous ferait faire un long détour pour éviter de la rencontrer, ainsi sans même le savoir, elle devient sujet de persécution.»
« Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent ». On n’ose à peine imaginer cela, à peine même imaginer le dire, en pensant à tous ceux qui ont été victimes d’atrocités dans leur existence. La mesure d’un amour comme celui-là nous dépasse complètement ! Aimer, arriver à aimer celui qui nous a fait mal … Cette mesure est divine. Seul Jésus, avec l’autorité de sa propre vie, peut prononcer de tels mots, peut oser nous appeler à une telle dé-mesure de notre amour. Et Il rajoute : « afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes». La dé-mesure est la mesure du cœur du Père. La dé-mesure est celle de la bonté inconditionnelle du Créateur de toute existence. « Tu aimes en effet tout ce qui existe, Tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres ; si Tu avais haï quoi que ce soit, Tu ne l’aurais pas créé. Comment aurait-il subsisté, si tu ne l’avais pas voulu ? Comment serait-il resté vivant, si tu ne l’avais pas appelé ? » (Livre de la sagesse 11, 24-25) La lumière et la chaleur du soleil, la fraîcheur de la pluie attendue pour féconder la terre, jamais Il ne les rationne pour qui que ce soit. Chaque jour sans se lasser …
Ne serait-ce pas le message que Jésus, le Fils d’un tel Père débordant de générosité, nous dévoile avec son «Eh bien ! moi, je vous dis » ? Être enfant de Dieu, vivre en enfant de Dieu, c’est accueillir – croire – cette promesse déposée au fond de notre cœur : tu es capable d’aimer comme moi, toi, créé à ‘notre image’ (cf. Gn 1,27).
Mais comment faire concrètement ? En lisant la 1ère lecture (2 Co 8, 1-9) qui accompagne la liturgie de ce mardi, je me suis demandé si elle ne nous donnait pas justement une des clés de cette ‘capacité d’aimer comme Lui’. « Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. » Jésus n’a pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu, mais a accepté de devenir semblable aux hommes (cf. Phil. 2,6-7) pour nous montrer que l’amour divin est capable d’élargir notre cœur à sa dé-mesure. Il s’est fait pauvre pour nous enrichir d’un amour démesuré, inconditionnel. Se savoir aimé d’un tel amour est ce qui peut, lentement, doucement, transformer notre ‘pauvre amour’. St Charles de Foucauld l’avait bien compris : « Mon Seigneur, comme il sera vite pauvre celui qui, vous aimant de tout son cœur, ne pourra souffrir d’être plus riche que son Bien-Aimé. »
«Eh bien ! moi, je vous dis » : aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent ». J’ai eu un jour l’incroyable chance de rencontrer une personne qui avait vécu cette Parole de Jésus à la lettre : Maïti Girtanner. Durant la Seconde guerre mondiale, Maïti, jeune femme de 18 ans, était rentrée en résistance presque malgré elle, et cela allait changer l’orientation de toute sa vie. Elle fut arrêtée 3 ans plus tard et faillit mourir des conséquences de la torture. Ressortie de l’enfer aux limites de la mort, ses souffrances physiques l’ont ensuite accompagnée en permanence. Elle écrit dans son livre[2] : « c’est la foi au Christ ressuscité qui m’a aidé à tenir durant les moments d’épreuve et de nuit et à reconstruire une vie dont je n’étais plus pleinement maître. Cette foi au Christ qui m’enjoignait d’aimer mes ennemis et de croire au pardon en contemplant la croix. Depuis la fin de la guerre, j’étais habitée par ce besoin de pardonner à celui qui avait détruit une grande part de moi-même. A celui qui m’avait conduit au seuil de la mort, je voulais montrer le chemin de la Vie. Mais on ne pardonne pas dans le vide. Au fond de mon cœur, je pensais sincèrement avoir pardonné à ce Léo. Mais aurais-je été capable de lui dire, en vérité : Je vous pardonne ? »
Et l’inimaginable se présenta un jour à la porte de Maïti. 40 ans après sa libération (en 1984), cet ancien jeune médecin nazi l’avait recherchée, non pas pour lui demander pardon, mais pour l’entendre, elle si remplie d’espérance au moments des faits. Il était atteint d’un cancer et avait peur de la mort. Peu à peu, durant la conversation qu’ils ont eu tous les deux, le travail de vérité sur son passé et la grâce de Dieu à travers les paroles de Maïti purent opérer le miracle : Léo lui demanda pardon et elle put le recevoir. « Depuis 40 ans, je n’avais jamais cessé de prier pour cet homme. J’avais la hantise qu’il meure le cœur habité par la haine, et souhaitais qu’il rencontre Celui qui l’avait créé par amour et pour aimer. Je ne pouvais pas me résoudre à voir le mal triompher définitivement d’une personne et il me semblait qu’une victime était mieux placée que quiconque pour intercéder en faveur de son bourreau. »
« Domine jusqu’au cœur de l’ennemi » Cette Parole du psaume (Ps 110,2), Maïti la portait dans son cœur depuis la fin de la guerre. S’étant laissé traverser par la dé-mesure de l’amour de Dieu, priant pour celui qui l’avait persécutée et croyant profondément que ‘même les bourreaux ont une âme’, elle put aimer son ennemi et lui pardonner, enfin.
La rencontre avec Maïti (en 2005) m’a intimement marquée, gravant à tout jamais la certitude en moi que notre cœur est fait pour « vaincre le mal à force de bien » (cf. Rm 12,21). Aujourd’hui, chaque jour, puissions-nous laisser l’amour vainqueur de tout mal transformer nos cœurs à sa dé-mesure.
Laurence Vasseur
[1] Sainte Thérèse de Lisieux, Manuscrit C, 15v, sur la charité fraternelle.
[2] Maïti Girtanner, Même les bourreaux ont une âme, Ed. CLD, p.13-14.
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