Méditation quotidienne du mardi 14 mai : Personnes de remplacement ! (No 240 – série 2023-2024)

Évangile du Mardi 14 mai Matthias (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis » Jn 15, 9-17

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. »

Méditation

Un passage de l’Évangile d’aujourd’hui – le même que celui du VIème dimanche de Pâques médité récemment (5 mai) –  vient éclairer la question qui me turlupine: ‘prendre la place de quelqu’un’ ou plutôt ‘occuper ma place’? Les mots de Jésus sont lumineux quand je pense à Matthias: “Ce n’est pas vous qui m’avez choisi,c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure.” C’est bien Lui qui a choisi chacun de ses apôtres. Le choix est de Dieu, il Lui appartient, et cela change tout! “Seigneur, qui connais tous les cœurs, désigne lequel des deux tu as choisi” disaient les frères réunis en prière autour de Pierre.

Dans un de ses écrits poétiques, Madeleine Delbrêl dit ces mots qui m’ont depuis toujours rejoint profondément:

mais de bienheureux appelés,

appelés à savoir ce qu’il vous plaît de faire,

appelés à savoir ce que vous attendez à chaque instant de nous.”

Elle rappelle dans ce texte magnifique[1] une vérité essentielle: “nous sommes de bienheureux appelés”, des bienheureux choisis par Dieu, chacun, chacune. Cette vérité vient frapper de plein fouet le mensonge de certaines fausses croyances qui nous habitent. Il y a des blessures qui parviennent à mettre un doute si profond sur notre valeur personnelle. Elles se déclinent en pensées négatives telles que “je me sens comme un bouche-trou”, “je dois être tellement nul qu’on ne pense à moi que lorsqu’il n’y a vraiment personne d’autre!” Le dictionnaire[2] définit comme suit ce mot familier et si triste de ‘bouche-trou’: “Personne à qui l’on ne fait appel que pour se tirer d’embarras, pour occuper une place accidentellement vacante, pour simplement figurer, faire nombre (par sa présence, son travail, etc.) ou encore pour dissimuler une lacune.”

Être à notre place, c’est là où notre vie peut porter du fruit. “C’est moi qui t’ai choisi et établi afin que tu ailles, que tu portes du fruit, et que ton fruit demeure.” Voilà quelle est la volonté de Dieu, l’unique volonté qu’Il a sur chacun: que notre vie porte du fruit et que ce fruit demeure, perdure, ne s’oublie pas …

C’est le grand défi de nos missions d’évangélisation et d’accompagnement. Dans le petit coin de vigne où le Seigneur m’a envoyée, le poids de l’uniformité est immense. Les jeunes sont ‘formatés’, la richesse de leurs talents personnels si souvent écrasée par les exigences élevées du système éducatif et par une compétitivité d’enfer. Alors, accompagner la vie de chaque personne pour qu’elle puisse découvrir sa ‘parole unique’ est un véritable combat spirituel!

Un combat qui n’est pas ‘moderne’. Toute l’histoire de l’humanité nous en parle! Je relisais ces derniers jours des pages de la correspondance entre la poétesse Marie Noël et l’Abbé Mugnier[3]. Elle lui avait écrit une toute première lettre vers 1918 pour lui demander conseil au sujet de ses lectures, inquiète d’aimer lire des auteurs placés à l’Index par l’Église de l’époque. Elle lui partage la “terrible question” qui l’habite: “je n’arrive pas à concilier ensemble mon amour des lettres et les exigences de ma foi. Tantôt je suis prête à rejeter de moi l’artiste pour me tourner à Dieu sans réserve et retrouver ma paix dans l’unité.” Elle lui confie la division en elle-même qui la laisse anxieuse. “Dans mes méditations, mes prières […] je ne me suis jamais trouvée en contradiction avec ma vocation naturelle, bien au contraire, le plus souvent, j’ai été confirmée dans ma voie. Le Seigneur m’est bien meilleur que moi-même! Il ne m’a pas demandé le grand sacrifice et je me dis qu’Il accueille peut-être toutes sortes de plantes et d’oiseaux dans son jardin, Lui qui a créé les fleurs de mille formes et couleurs […] – pour le plaisir sans doute – quand Il pouvait se contenter de les faire toutes unies et blanches.”

Comme elle dit cela si bien, Marie Noël! “Le Seigneur m’est bien meilleur que moi-même”. Il sait Lui, le Créateur, bien mieux que moi la beauté qui m’habite et désire la révéler au monde à travers ma personne. Et à cette première lettre écrite dans l’angoisse, l’Abbé Mugnier lui répondit (extraits): “Le pire mal serait d’avoir une destinée incomplète, de ne pas atteindre le terminus de ses dons. Je veux que vous restiez catholique, mais catholique rayonnante, joyeuse, s’il est possible, et trouvant dans sa foi l’aide, l’élan et non l’obstacle. Soyez vous-mêmes. Soyez ce que vous êtes d’instinct. Redevenez une seule et même personne enthousiaste du beau, où qu’il soit, dans la nature, dans les lettres, partout.”

Cette réponse a eu un effet immensément libérateur en la jeune Marie Noël. Elle est devenue elle-même, peu à peu, la poétesse espiègle, la catholique hors de sentiers battus … C’est comme ça qu’elle a porté du fruit, un fruit qui demeure jusqu’à aujourd’hui.

Comme elle, comme Madeleine D., comme Matthias, recevons-nous du Souffle qui déjà nous habite. Trouvons dans notre relation à Dieu, dans le chemin de vie partagé avec Lui, notre respiration profonde. Il nous a choisis, Il m’a choisie pour qu’en ce jour ma vie porte du fruit! Aujourd’hui, jour de la fête de St Matthias, demandons-lui de nous aider à accueillir le ‘choix de Dieu’ (même par tirage au sort! Cf. 1ère lecture) afin de Le laisser transformer toutes les croyances mensongères qui étouffent la lumière en nous. St Matthias, patron des “personnes de remplacement”, intercède pour nous.

Laurence Vasseur, vasseurlaurence@hotmail.com


[1] L’extase de vos volontés.

[2] https://www.cnrtl.fr/definition/bouche-trou. “Il me reste encore les grands chemins, les voies toutes faites, les habits à vendre, les places, les mille trous qu’on bouche avec des imbéciles. Je serai donc bouche-trou dans la société, j’y remplirai ma place, je serai un homme honnête, rangé, et tout le reste si tu veux.” Flaubert, Correspondance,1839.

[3] Marie Noël et l’Abbé Mugnier, J’ai bien souvent de la peine avec Dieu, correspondance, Ed. Du Cerf, 2017, premier échange p. 38 à 43.

DROIT D’AUTEUR

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