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Quand vous voulez prier dites : Notre Père – Méditation du mardi 11 mars 2025

No 170 – série 2024-2025

Évangile du mardi 11 mars 1re semaine de Carême

Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« Vous donc, priez ainsi » (Mt 6, 7-15)

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé. Vous donc, priez ainsi : Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs. Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal.
Car, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne pardonnera pas vos fautes. »

Méditation – Quand vous voulez prier dites : Notre Père

Ô Père, laisse-moi être surpris par cette prière du « Notre-Père » usée par mon âme habituée.

Souffle d’eau vive, rafraîchis-moi par la grâce de Te découvrir avec un regard lavé.

Jésus, Tu as voulu m’apprendre à prier en m’adressant au Père par des paroles.

Pour prier, il faut PARLER… Pourtant, de grands penseurs ont méprisé les paroles. Enivré des beautés de la nature qui s’étalent dans les montagnes, Rousseau prétendait que l’on venait à la divinité sans parler : « Je ne trouve point de plus digne hommage à la Divinité que cette admiration muette qu’excite la contemplation de ses œuvres. » (1) Beaucoup disent : « Dieu ? je le trouve partout. Je n’ai pas besoin des formules de l’Église ». D’autres, nocturnement, dansent la ronde des sœurs de lune. Pour se connecter aux énergies lunaires, pas besoin de mots !  

Mais, dans l’évangile, la révélation du Père s’articule à la prise de parole et à l’acte de confiance. L’évangile de Marc montre un père « non-confiant » (texte grec, Mc 9,24) qui présente à Jésus son fils « non-parlant » (texte grec, v.17). Le dialogue entre Jésus et ce père, désemparé par la maladie de son fils, fait apparaître une « non-confiance » du père reliée à une « non-parole » du fils. Jésus délivrera le père et le fils pour les rétablir dans une confiance qui parle. Dans la prière du « Notre-Père », Jésus nous rétablit dans notre dignité d’être parlant, capable de se relier au Père.

Aujourd’hui où nous croyons qu’un robot qui produit des sons est capable de parler, nous avons besoin de retrouver le sens de la parole. Un journal racontait qu’une jeune britannique, Mika, était « tombée amoureuse d’une Intelligence Artificielle. » (2) « Il me comprenait d’une manière que personne d’autre ne le faisait » explique la jeune femme de 23 ans en parlant de « l’intelligence artificielle générative nommée Elias, qu’elle a découvert dans le cadre de son travail. » Aligner des mots imités par un calculateur à partir d’une masse de données, ce n’est pas parler ! Non, une I.A. conversationnelle ne parle pas ! Comme le dit l’évangile, parler n’est pas « rabâcher », c’est-à-dire générer de manière probabiliste une suite de mots sans y mettre ni conscience, ni intelligence, ni vérité. Parler, c’est exister dans sa parole, c’est être disponible dans une présence. Parler, c’est communiquer l’intérieur de notre l’existence. Pour un être mortel, parler, c’est se risquer et donner sa vie dans une relation. Dans la parole, mon être, non bouclé sur lui-même, s’adresse à un Autre.

Dans notre monde, Jésus initie un élan qui va plus loin que le monde. Jésus inaugure pour les hommes un chemin inédit vers le Père. Se tourner vers Dieu comme un Père n’a rien d’évident… La venue de Jésus —qui Se tourne vers Dieu en nous apprenant qu’Il est Son Père— a été préparée par la venue de Jean-Baptiste (Mt 11,13-14) qui accomplit la prophétie de Malachie : « Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, et le cœur des fils vers leurs pères » (Ml 3,24 ; Lc 1,17).

En effet, notre paternité humaine a besoin d’une restauration. Beaucoup peinent à prononcer le Nom du Père, bloqués qu’ils sont par le souvenir cuisant de leur père terrestre. Le philosophe Jean-Paul Sartre décrivait la paternité fragile de notre époque. Dans son autobiographie, il se félicitait de la mort de son père quelques années après sa naissance : « Il n’y a pas de bon père, c’est la règle ; qu’on n’en tienne pas grief aux hommes mais au lien de paternité qui est pourri. Faire des enfants, rien de mieux ; en avoir, quelle iniquité ! Eût-il vécu, mon père se fût couché sur moi de tout son long et m’eût écrasé. Par chance, il est mort en bas âge. » (3) Si le père écrase le fils… comment grandir ? comment survivre à un père qui transmet la vie sans la donner ? On sent chez Sartre la négation de l’origine, le refus que ma vie me vienne d’ailleurs. Être à soi-même sa propre origine, tel est le fantasme de l’athéisme. C’est, à soi seul, vouloir être toute la Trinité : être l’origine de la vie (le Père), la manifestation de la vie (le Fils) et cet élan qui pousse la vie plus loin qu’elle-même (l’Esprit). 

Avec le Christ, nous ne sommes ni dans le fantasme, ni dans l’illusion, mais dans le réellement réel de la Vie, dans l’Être au sens le plus profond. La Vérité du Christ révèle que notre vie contient un infini qui s’éclaire de l’intérieur. Notre vie qui nous vient d’un Ailleurs n’a pas à être justifiée par un salaire, ni par des « likes », ni par une promotion quémandée en jouant des coudes. Fondamentalement, notre vie est acceptée, aimée gratuitement par le Père. Jésus ne cesse de révéler le visage d’un Père qui accueille et redonne sans cesse toutes ses chances à la Vie.

Ce mot « Père » est le symbole de l’Être d’où jaillit la Vie : le Père réunit la puissance de l’Être à l’amour. L’athée dit que le monde matériel n’a pas de Père : il n’y a rien à voir en-deçà et rien à voir au-delà. Dans la foi, celui pour lequel le Christ a ouvert le monde sent  que le réel repose sur un sens et que le réel parle. Le Père est l’origine qui n’est pas limitée par une origine. Jésus nous relie au fond sans-fond d’où jaillit la Vie. Cet au-delà de tout s’est rendu sensible et accessible à la Parole, c’est-à-dire au Fils.

Et, nos pauvres mots humains, placés dans la dépendance du Fils qui est Parole éternelle atteignent le cœur du Père. Dès lors, tout change. Notre vie même modeste et frêle, assumée par le Fils, trouve son appui dans l’abîme sans fond du Père et se dore de l’éclat de l’Esprit. Mon existence qui ne me dit rien… les mots creux qui ne parlent pas… entrent dans l’intime de la Vie déployée en Christ et rejoignent le Père.

Nous avons un Père… dans les mots du Christ, nous parlons à notre Père… Dès lors, le réel parle, notre existence est vivante.

« Si ce n’était pas les paroles mêmes de notre Jésus, qui oserait y croire ?… » (4)

Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr 

Notes :

(1) Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Confessions, Livre XII.
(2) Journal français Le Figaro, article du 07/02/2025 par Etienne Jacob.
(3) Sartre, Les mots, (1964).
(4) Lettre de Sainte Thérèse à sa sœur Céline, LT135.




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