No 191 – série 2024-2025
Évangile du mardi 1er avril – 4e semaine de Carême
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Aussitôt l’homme fut guéri » (Jn 5, 1-16)
À l’occasion d’une fête juive, Jésus monta à Jérusalem. Or, à Jérusalem, près de la porte des Brebis, il existe une piscine qu’on appelle en hébreu Bethzatha. Elle a cinq colonnades, sous lesquelles étaient couchés une foule de malades, aveugles, boiteux et impotents. Il y avait là un homme qui était malade depuis trente-huit ans. Jésus, le voyant couché là, et apprenant qu’il était dans cet état depuis longtemps, lui dit : « Veux-tu être guéri ? » Le malade lui répondit : « Seigneur, je n’ai personne pour me plonger dans la piscine au moment où l’eau bouillonne ; et pendant que j’y vais, un autre descend avant moi. » Jésus lui dit : « Lève-toi, prends ton brancard, et marche. » Et aussitôt l’homme fut guéri. Il prit son brancard : il marchait ! Or, ce jour-là était un jour de sabbat. Les Juifs dirent donc à cet homme que Jésus avait remis sur pied : « C’est le sabbat ! Il ne t’est pas permis de porter ton brancard. » Il leur répliqua : « Celui qui m’a guéri, c’est lui qui m’a dit : “Prends ton brancard, et marche !” » Ils l’interrogèrent : « Quel est l’homme qui t’a dit : “Prends ton brancard, et marche” ? » Mais celui qui avait été rétabli ne savait pas qui c’était ; en effet, Jésus s’était éloigné, car il y avait foule à cet endroit.
Plus tard, Jésus le retrouve dans le Temple et lui dit : « Te voilà guéri. Ne pèche plus, il pourrait t’arriver quelque chose de pire. » L’homme partit annoncer aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri. Et ceux-ci persécutaient Jésus parce qu’il avait fait cela le jour du sabbat.
Méditation – « J’peux pas, j’ai piscine » (1)
Combien de fois ne restons-nous pas bloqués dans une procrastination ? « Le salut ? Oui, mais pour plus tard… et à ma manière… » Finalement, nous utilisons l’expression qu’un humoriste employait pour fournir une excuse bidon : « J’peux pas, j’ai piscine ! » Cela s’applique à l’infirme de la piscine de Bethzatha qui ne peut renouer avec son désir profond, tant il est prisonnier de la compétition des malades autour de l’eau qui bouillonne. Enfermés dans l’accessoire, nous oublions l’essentiel !
Dans une boîte de nuit aux flashs stroboscopiques, Aubin (2) enchaîne du sexe frénétique avec des inconnus. Son visage se dilue dans les psychotropes. Voilà des années que son âme s’évade hors du corps. Il dégringole la spirale des addictions et du dégoût. Pourtant, la drogue et le sexe hurlent un désir de vivre. Personne ne l’entend, même pas lui-même… Quand la vie brisée se détourne de sa profondeur qui la guide vers le Père, tout devient évasions et impasses. Qui saura lire cette débâcle ? Dans cette déroute, qui retrouvera le tracé d’une route qui désire la vie ?
En terme théologique, un mot désigne cette errance, c’est le péché qui est une privation de vie. Dans le péché, la vie rate sa cible. Et pourtant, dans le mouvement même de ce ratage se révèle quelque chose de l’énergie qui mène au Bien. L’archer malheureux enverrait-il sa flèche s’il n’était motivé par le désir de rejoindre la cible ? À la suite de l’Esprit, la tradition de l’Église regarde ce qu’il y a de vivant dans cet égarement de la vie. Un grand théologien de la tradition mystique décrivait comment le débauché, le colérique ou celui qui choisit la pire des vies restent, dans leur égarement même, reliés au désir du Bien : le débauché est « privé du Bien par sa convoitise irrationnelle, on peut dire que cette privation l’anéantit en quelque sorte et que sa convoitise est sans objet réel ; il reste vrai qu’il participe au Bien par l’écho affaibli qui demeure en lui de la communion et de l’amitié. De même, la colère participe au Bien par le mouvement qui est en elle, par le désir d’améliorer ce qui semble mauvais et de le ramener à un état qui semble meilleur. Et celui lui-même qui désire la pire des vies en tant qu’il ne désire que vivre, et vivre de la vie qui lui semble la meilleure, par son désir même, par son désir de vivre, par sa tendance vers la vie, il a lui-même part au Bien. Si l’on supprimait totalement le Bien, il n’y aurait plus ni vie, ni désir, ni mouvement, ni rien d’autre. » (3)
Dans nos vies comme dans cette page d’évangile, l’Agneau de Dieu passe « la porte des brebis » pour rejoindre celui qui était « couché » près de la piscine de « Bethzatha », c’est-à-dire maison de la miséricorde. Cet homme sait que son infirmité l’exclut du Temple (2 S 5,8). Ne demandant rien au Dieu d’Israël, il se couche dans le sanctuaire d’un dieu grec dont les archéologues ont retrouvé les traces. Lorsque Jésus parle à l’infirme, celui-ci n’exprime même plus son désir, mais rumine son malheur. Alors, Jésus ré-ouvre le désir : « Veux-tu être guéri ? ». L’expression grecque dit plus précisément : « Veux-tu devenir bien portant ? » Jésus ré-introduit un devenir dans cette vie figée. Mais, cet homme a perdu son désir. Ce sanctuaire païen, qui met les malades en compétition, enferme notre homme dans une contradiction : pour se jeter à l’eau, il faudrait déjà être guéri ! Depuis 38 ans, il rampe dans l’humiliation. Ce chiffre 38 désigne les années passées au désert (Dt 2,14) avant l’accès à la Terre Promise. Jésus offre ce salut.
Ce salut va plus loin que la guérison corporelle. Cette page d’évangile culmine dans la rencontre ultime que nous lisons à la fin : « Plus tard, Jésus le retrouve dans le Temple ». Le Fils de Dieu cherche les brebis perdues de la maison d’Israël. Cet homme que Jésus vient de guérir, Il le retrouve dans la Maison du Père. La guérison corporelle ouvre une brèche dans le barrage des blessures pour que le fleuve d’eau vive coule de nouveau vers le Père. Le Fils cherche ce qui est perdu pour le conduire à sa propre profondeur où réside le Père. En effet, comme le disait le philosophe Héraclite, « la demeure de l’homme, c’est Dieu ». Malgré les apparences qui recouvrent l’homme comme un pelage, Jésus reconnaît ce qu’il y a de divin dans l’homme. En l’homme pécheur, Il discerne la grandeur qui se manifeste par des « gémissements inexprimables » (Rm 8,26).
Frère de nos blessures, le Fils plonge dans la pâte humaine : ce qui est brisé est assumé par le Christ. Cet effort de descente, l’Esprit le parcourt avec le Fils. L’Esprit est ce Dieu qui part au plus loin de Dieu pour ramener des fils au Père.
Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
Notes :
(1) Expression humoristique qui exprime la procrastination sous couvert d’une excuse qui ne dissimule guère son côté grotesque.
(2) Le documentaire de France TV Chems. Sexe, drogue et dépendance de Christo Roussev et de Julie Robert (2024) décrit le parcours de Aubin, 24 ans.
(3) Pseudo-Denys l’Aréopagite, Traité des Noms divins, (Traduction Maurice de Gandillac, AUBIER, Paris, 1941, chapitre IV, § 20, 2° alinéa). Ce théologien mystique était un moine syrien qui vécut au V°s-VI°siècle.

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