Évangile du Lundi 6 novembre – 31e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« N’invite pas tes amis ; invite des pauvres, des estropiés » Lc 14, 12-14
En ce temps-là, Jésus disait au chef des pharisiens qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour. Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
Méditation
Dans le Lévitique, Israël décrivait son cheminement vers Dieu en termes juridiques au service d’une vision qui se détournait de l’impur pour mieux accéder au pur. Le mot impur étymologiquement est un embourbement où l’on suffoque, un enlisement dans ce qui diminue et ultimement dans la mort qui clôt la possibilité de la vie. Au contraire, le pur avait pour symbolique un ciel dégagé par un coup de vent, l’élan vers la vie. Selon cette manière d’exprimer la montée vers Dieu, le Lévitique écartait les gens cassés qui n’atteignaient pas leur plénitude. Ainsi, le Lévitique déclarait les aveugles, les boiteux, les défigurés indignes de faire un sacrifice (Lv 21,17-21). Dans ce sillage, David détestait ces hommes diminués et les déclarait indignes du sanctuaire : « Ni aveugle, ni boiteux n’entrera dans la Maison » (2 S 5,8). Ainsi, pensent les hommes qui tentent de se frayer un difficile chemin entre ce qui diminue et ce qui offre de l’ampleur, entre ce qui enlise dans la mort et ce qui donne vie. Comment penser la relation entre le Saint et le monde des hommes sujets à la confusion, au péché et à la mort ? Comment se représenter la montée vers Dieu autrement que sous les images d’un mouvement vers la vie en plénitude ? Ce qui est en bonne santé, ce qui est fort ne pouvaient qu’être le signe d’une bénédiction de Dieu. Inversement, ce qui échoue et ce qui rétrécit signifiaient une réprobation divine. Le difforme semblait avoir perdu la forme divine. Une stricte séparation entre le pur et l’impur semblait, à ces hommes pieux, le meilleur moyen de protéger l’accès vers la vie.
Jésus, dans cette page d’évangile, met en mouvement nos catégories figées. Il remarque que notre politesse fondée sur la réciprocité des mérites ne sert pas de modèle pour comprendre la convivialité de Dieu. Jésus stimule notre marche vers le Père pour aller plus loin. Être poli, c’est déjà bien ! Être honnête, c’est déjà beaucoup ! Mais, Jésus propose plus, car la grâce peut davantage. Le Christ se porte lui-même au-devant de ce qu’il y a d’impur dans l’homme pour l’irriguer par sa pureté divine. Ce qu’il y avait de fermé dans le principe circulaire de la réciprocité, Jésus l’ouvre en soulignant la beauté du geste qui donne sans revenir à soi : « ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Mt 6,4). Jésus nous apprend que la gratuité du geste bienveillant attire le regard du Père : à l’élan gratuit du donneur correspond ce regard Paternel tenu dans un secret qui conserve le mystère. La réciprocité change de nature : au donnant-donnant de la politesse humaine succède une gratuité payée en retour par une gratuité plus ample venue d’un Autre. Jésus conduit notre petite bienveillance humaine pour qu’elle grandisse en faisant le détour par le regard du Père. Cet échange se déroule dans une pauvreté que Jésus révèle comme un mystère. Jésus, modèle de cet amour oblatif, fait de la pauvreté une terre à explorer. Sur l’opposition parfois stérile de nos catégories (pur et impur, permis et défendu), Jésus jette un pont qui donne à notre marche du mouvement. Le casse-tête de nos contradictions, Jésus vient le dynamiser… sous la forme d’un paradoxe qui met en route. Là, dans le silence, une Parole se donne à entendre. Le Christ « s’est fait pauvre » pour nous enrichir « par sa pauvreté » (2 Co 8, 9).
Quelle est donc cette convivialité de Dieu ? Comment dresse-t-Il la table ? « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. » (2 Co, 5, 21) Dans le Christ, l’Amour divin s’identifie à notre aveuglement pour nous recevoir en Lui. Il s’identifie à notre boiterie pour que notre marche incertaine retrouve le Chemin de la Vie. Dieu accueille les estropiés autour du pain de Son corps brisé (1 Cor 10,17). La boisson que Dieu sert à boire est Son sang versé (Lc 22,20). L’estropié, n’est-ce pas d’abord Celui qui tombait sur le sentier qui menait au Golgotha ? L’aveugle, n’est-ce pas d’abord Celui dont les yeux étaient envahis de sang et de sueur sur la croix ? Celui qui prend sur Lui les brisures du monde accueille les brisés (Ps 147,3). Celui que blesse le chemin reçoit des boiteux comme Jacob (Gn 32,25-29). La gratuité de Dieu travaille notre Création. Elle trace un sillon : « Oui, en marche seras-tu ! Oui, cela te sera rendu au relèvement des justes. » (Lc 14,14, trad. André Chouraqui).
Le Fils de l’homme expose la convivialité de Dieu, son accueil. Il propose de vivre dès maintenant de la vie des relevés dans une anticipation de notre vie en Dieu. Au banquet final qui réunira les enfants de Dieu enfin réconciliés, qui aurons-nous à droite et à gauche ? La convivialité de Dieu réunit des gens indignes, vidés par le malheur, lessivés, rincés par la vie. Mon voisin de droite tournera le regard vers moi et s’exclamera : « Loué sois-Tu Dieu de l’univers, tu acceptes les estropiés dans Ton Royaume ! » Mon voisin de gauche me regardera et louera le Seigneur d’avoir accepté les aveugles…
Vincent REIFFSTECK. vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
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