Évangile du Lundi 5 février – 5e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Tous ceux qui touchèrent la frange de son manteau étaient sauvés » Mc 6, 53-56
En ce temps-là, après la traversée, abordant à Génésareth Jésus et ses disciples accostèrent. Ils sortirent de la barque, et aussitôt les gens reconnurent Jésus : ils parcoururent toute la région, et se mirent à apporter les malades sur des brancards là où l’on apprenait que Jésus se trouvait. Et dans tous les endroits où il se rendait, dans les villages, les villes ou les campagnes, on déposait les infirmes sur les places. Ils le suppliaient de leur laisser toucher ne serait-ce que la frange de son manteau. Et tous ceux qui la touchèrent étaient sauvés.
Méditation
« Ils le suppliaient de leur laisser toucher ne serait-ce que la frange de son manteau. Et tous ceux qui la touchèrent étaient sauvés. » Jésus serait-il une rock star assaillie de groupies ? Ce geste étrange des gens de Génésareth a une portée symbolique qui pressent un mystère. Qu’est-ce que « la frange de son manteau » ? La traduction française que donne André Chouraqui fait entendre le mot de « tsitsit » de manière à rendre audible la référence à un rite juif : « Ils le supplient seulement de toucher les tsitsit de son manteau. Tous ceux qui le touchent sont sauvés. » Le rite juif du port des tsitsit se comprend en revenant au livre des Nombres où Dieu commande à Moïse que tous les fils d’Israël portent un châle de prière (talit) bordés de franges aux quatre coins duquel pendront des cordons de couleur bleue. Ce vêtement enseigne une intériorisation de la foi :
« Le Seigneur parla à Moïse : Parle aux enfants d’Israël, et dis-leur qu’ils se fassent, de génération en génération, une frange au bord de leurs vêtements, et qu’ils mettent un cordon bleu (« tékhélet ») sur cette frange du bord de leurs vêtements (« tsitsit »). Quand vous aurez cette frange, vous la regarderez, et vous vous souviendrez de tous les commandements du Seigneur pour les mettre en pratique, et vous ne suivrez pas les désirs de vos coeurs et de vos yeux pour vous laisser entraîner à l’infidélité. Vous vous souviendrez ainsi de mes commandements, vous les mettrez en pratique, et vous serez saints pour votre Dieu. Je suis le Seigneur votre Dieu, moi qui vous ai fait sortir du pays d’Égypte pour être votre Dieu. Je suis le Seigneur votre Dieu. » (Nb 15, 37-41)
La « frange du manteau » est un ensemble de fils qui pendent sur les deux pans d’un vêtement qui ressemble à un poncho : un pan tombe devant et un autre pan tombe derrière le corps. Les touffes de fils blancs, qui s’effilochent de ces pans de tissu, rappellent les actions justes proposées par la Loi de Moïse. Aux quatre coins de ce vêtement, pendent ce que l’on nomme en hébreu « tsitsit » un cordon, qui ressemblant à la couleur du ciel bleu, rappelle le trône de Dieu. Le bleu du cordon symbolisant la souveraineté divine est tressé de fils blancs qui évoquent les désirs de nos coeurs et de nos yeux.
Ce rite vestimentaire propose à l’homme de naviguer dans l’ordinaire des jours avec un gouvernail qui se dirige vers Dieu. C’est un appel à vivre dans la familiarité du Saint qui a libéré Israël. Aux quatre ailes de son manteau, Jésus porte ce signe de liberté comme une respiration ouverte sur le Ciel. Dans ce vêtement de Jésus, le bleu du Ciel n’encadre plus le blanc de nos désirs humains pour les surveiller. Les quatre coins du manteau, comme les quatre pieds du trône de Dieu, laissent à Jésus la liberté de distribuer la grâce et la vérité dont Il est la source. Le bleu tressé avec le blanc dans une Alliance sans peur, le bleu venu du Ciel marche avec les hommes sur les routes blanches de poussière. C’est la nature même du Christ d’être ce bleu de là-haut tressé dans ce blanc d’ici-bas. « Ils le suppliaient : rien que toucher la tresse de son vêtement ! » (traduction de Soeur Jeanne d’Arc). Toucher cette tresse, c’est honorer l’Incarnation, se relier à notre filiation divine.
« Dans tous les endroits », « les malades sur des brancards » reconnaissent en Jésus le corps humain dans sa plénitude divine. Ils sentent que le corps humain est une ébauche qui s’accomplit dans l’amour que Jésus délivre en ce monde. Avec évidence, ils célèbrent en Jésus la terre réunie au Ciel, le Ciel enveloppant la terre. Notre corps proclame sa grandeur en reconnaissant la souveraineté de Dieu qui fait notre dignité : « votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous » (1 Co 6,19). Être appelé, jusque dans son corps, par un plus grand que soi, n’est-ce pas justement être libre pour aimer ? Notre corps parle du désir de Dieu qui le soulève : « Après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau. » (Ps 62). Aimer, c’est la tendresse pour le plus fragile : notre chair permet d’aimer.
A force d’être au service de machines, nous méprisons nos membres. A force d’être sous les ordres d’un ordinateur, nous dévalorisons notre chair. En introduisant dans un embryon animal une séquence du génome humain, nous brouillons les frontières en oubliant de protéger les animaux et en négligeant notre destination divine. Notre époque a soif de connaître cette grandeur du corps qui nous fait humain. Notre chair vulnérable a faim de retrouver dans sa fragilité même ce qui nous permet d’avoir besoin de l’autre et de donner. La chair tendre est ce qui nous permet de tendre vers l’autre. Comment mieux aimer qu’en prenant soin de la chair ? Toucher « la tresse du manteau » de Jésus, n’est-ce pas honorer ce dont nous avons le plus besoin ? Une chair tressée d’âme.
Vincent REIFFSTECK. vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
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