Évangile du Lundi 4 décembre – 1re semaine de l’Avent (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Beaucoup viendront de l’orient et de l’occident et prendront place au festin du royaume des Cieux » Mt 13, 8, 5-11
En ce temps-là, comme Jésus était entré à Capharnaüm, un centurion s’approcha de lui et le supplia : « Seigneur, mon serviteur est couché, à la maison, paralysé, et il souffre terriblement. » Jésus lui dit : « Je vais aller moi-même le guérir. » Le centurion reprit : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. Moi-même qui suis soumis à une autorité, j’ai des soldats sous mes ordres ; à l’un, je dis : “Va”, et il va ; à un autre : “Viens”, et il vient, et à mon esclave : “Fais ceci”, et il le fait. » À ces mots, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi. Aussi je vous le dis : Beaucoup viendront de l’orient et de l’occident et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob au festin du royaume des Cieux. »
Méditation
Ce centurion, qui n’est pas juif, compte parmi les membres d’une armée d’occupation. Détesté, il est dans le mauvais camp. Irrémédiablement, tout son être est non conforme. Ce qu’il est s’effrite comme poussières. Au milieu de la victoire militaire de Rome sur cette petite nation qu’est Israël, ce centurion endure une défaite. Ils sont nombreux ceux qui ont le sentiment de ne pas appartenir à ce monde dans lequel ils ont du succès.
Avant son conseil d’administration, Xavier, ce brillant business manager, compte les anti-dépresseurs. Son entreprise est plus prospère que lui. Il regarde de loin sa réussite sans se convaincre que c’est bien la sienne. Son bureau domine la ville… mais, il rêve du Saint-Laurent et de ce que son estuaire inscrit d’immense dans le continent. Dans sa jeunesse, Xavier rêvait du Népal. Il s’en souvient parfois. Mais, le Népal est parti, ses rêves sont partis. Revenu de l’Himalaya comme il est revenu de ses rêves, il aligne les calmants le long de son ordinateur.
Le centurion, qui devrait parader dans une cuirasse rutilante, donne foi à ce Jésus, ce marcheur qui s’engouffre dans la poussière des chemins. Il prête l’oreille à celui qui semble habiter la marche. Jeté dans les hasards qui bouleversent l’histoire humaine, ce centurion n’est pas adapté aux circonstances. Il n’est pas installé dans sa vie. Intimement, un pieu le percute et l’enfonce dans la douleur depuis que sa préoccupation ne se détache plus de ce serviteur qui « souffre terriblement ».
Xavier, toi aussi, tu n’es pas à l’aise dans ta vie. Ne cours pas loin de toi… Ne fuis pas ta maison. Car, tu sais bien que dans la maison que tu fuis, reste ton âme qui « souffre terriblement ». Reviens vers ton seuil.
La maison de ce centurion est une maison de douleur. Sur une paillasse, là-bas, son serviteur se tortille. La douleur n’a pas de mots, elle n’a pas d’avenir. La douleur n’a qu’une odeur de sueur et de désespoir. Dans la chambre de la douleur, le temps lui-même ne sait plus aller. Figé, il ne dit plus « va », il ne dit plus « viens », il est « couché » et « paralysé ».
Dis-moi une parole.
Dis-moi une parole qui étende le bras.
Dis-moi une parole qui esquisse un geste neuf dans un espace où reprendre haleine.
La Parole qui donne la vie s’inscrit en nous comme cela même dont nous manquons. Son empreinte, qui se creuse dans notre corps, précède son articulation. Tant qu’elle n’est pas prononcée et lancée dans l’air pour nous rejoindre, la trace vide de cette Parole fait notre douleur. Nous restons-là souffrant d’une Parole manquée. Dans notre poitrine sous les côtes, juste là à côté du souffle, un creux en marque l’emplacement. Nous restons fixés par le trou que laisse cette parole qui n’est pas dite.
Enfants, nous attendons d’être nommés pour entrer dans l’état civil.
Écoliers, nous attendons d’être appelés pour entrer dans la classe.
Vivants, nous attendons la Parole de notre Dieu pour être sûrs de respirer.
Un corps ne suffit pas pour vivre, il faut une parole. Nous souffrons d’exister à cause de tout ce que cette parole n’a pas encore dit de nous. Alors, nous cherchons des paroles de vie partout…
Xavier expérimente chaque jour que le cours de la bourse ne délivre pas une Parole. Dit-elle vrai cette publicité qui me promet d’atteindre : « La vie. La vraie » en allant au supermarché ? Voilà longtemps que Xavier ne sourit même plus devant les publicités stupides…
Comme nous, le serviteur du centurion souffre d’une parole qui n’est pas encore prononcée. Il souffre que la Parole qui fonde son existence ne soit pas encore révélée à ses propres yeux. Enfermé en lui-même, ce serviteur geint. Sa plainte entendue par son maître est allée jusqu’à Jésus qui la reçoit.
Le centurion sait que cette Parole fondatrice existe. Il sait qu’elle arpente les routes à la recherche des hommes. Il sait que cette Sagesse se tient au seuil de l’existence prête à se converser avec les hommes (Pr 8,3). Jésus est cette Sagesse qui a hâte de nous rencontrer : « Je vais aller moi-même le guérir. »
« Dis seulement une parole. » À l’eucharistie, Jésus prononce cette Parole qui se fait nourriture (Mt 26,26). La Parole dresse la table du pain partagé. Jésus n’a pas besoin de parler pour être Parole. Jésus, ce Dieu qui sauve, apporte la Parole qui fonde l’existence. Dans l’oraison où nous reprenons haleine, nous naissons de la parole murmurée par notre Dieu. Notre vie prend sens, saveur et être.
Tu me dis, Seigneur, cette Parole qui me fait vivre, cette Parole dans laquelle mon être reprend pied. Donne-moi le silence pour que je l’entende enfin.
Vincent REIFFSTECK. vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
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