Donner tout ce que l’on est – Méditation du lundi 25 novembre 2024

No 78 – série 2024-2025

Évangile du lundi 25 novembre 34e semaine du Temps ordinaire

Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« Jésus vit une veuve misérable mettre deux petites pièces de monnaie » (Lc 21, 1-4)

En ce temps-là, comme Jésus enseignait dans le Temple, levant les yeux, il vit les gens riches qui mettaient leurs offrandes dans le Trésor. Il vit aussi une veuve misérable y mettre deux petites pièces de monnaie. Alors il déclara : « En vérité, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. Car tous ceux-là, pour faire leur offrande, ont pris sur leur superflu mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre. »

Méditation – Donner tout ce que l’on est

« Cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. Elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre.» Ce verset que nous avons médité il n’y a pas si longtemps (dimanche 10 novembre), Jésus nous l’offre à nouveau ce lundi matin. Dans cette ‘répétition’, je devine qu’il y a un message essentiel pour notre cœur en cette toute fin de l’année liturgique.

En méditant ces quelques lignes de l’Evangile, j’ai senti l’invitation de l’Esprit à m’approcher de ‘cette femme’ – dont st Luc nous dit – qu’elle est « une veuve misérable et pauvre ». Guidée par Lui, tenter de lire et de comprendre ce qui a bien pu se passer dans la vie de cette veuve anonyme pour qu’elle ait eu la force et la dignité de s’approcher du temple, y entrer, le traverser au milieu de la foule pour y déposer « ses deux petites pièces de monnaie. »  

Dans la société patriarcale, comme l’était celle du temps de Jésus, ‘être veuve’ pour une femme équivalait à ne plus disposer d’aucunes ressources nécessaires pour vivre au quotidien. Ayant perdu son mari, elle perdait avec lui en même temps son statut social et économique. Elle tombait réellement dans la misère si personne ne lui venait en aide. C’est pourquoi la Bible – dans les Psaumes, les livres sapientiaux et chez les prophètes – est remplie d’appels à la compassion envers les ‘veuves et les orphelins’, littéralement ‘déshérités de la vie’.  Et Dieu Lui-même est « Père des orphelins, défenseur des veuves, tel est Dieu dans sa sainte demeure. » (Ps. 67,6) « Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve. Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur ses joues ? » (Si 35,16-17).

Au cœur de son immense tristesse et dépouillement, cette ‘veuve du temple de Jérusalem’ avait-elle fait l’expérience dont parle le sage Ben Sirac ? Ses larmes, avaient-elles pu sentir que réellement Dieu les avait versées avec elle dans son extrême indigence ? Jusqu’à quelle profondeur de son cœur meurtri et esseulé avait-elle pu expérimenter la compassion de Dieu pour venir ce jour-là déposer son offrande dans le trésor?

J’aime à imaginer qu’à ses oreilles était peut-être parvenue la rumeur au sujet de ce jeune prophète, Jésus de Nazareth. Alors que Lui recommandait sans cesse « de ne dire la chose à personne » (après les nombreux miracles de guérisons qu’Il faisait) « plus Il le leur recommandait, de plus belle ils la proclamaient. Ils étaient frappés au-delà de toute mesure et disaient: “Il a bien fait toutes choses: il fait entendre les sourds et parler les muets.” (Mc 7, 36-37) Ce jeune prophète qui « faisait bien toutes choses », elle avait peut-être secrètement désiré elle aussi le rencontrer un jour … D’ailleurs, perdue dans la foule des anonymes, n’avait-elle pas entendu de ses propres oreilles ces mots venus du ciel : “Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés.” (Lc 6, 20-21)

Cette voix si douce, débordante de la bonté de Dieu, oui, c’est sûr, elle avait dû l’entendre résonner si fortement dans son cœur ! Ces mots des Béatitudes et tant d’autres Paroles avaient pu peu à peu se frayer un chemin d’espérance en elle.  Des Paroles vivifiantes comme l’eau transparente d’une source, capables à elles seules de purifier et transformer lentement son sentiment de honte. De ce qui semblait ne faire qu’un avec elle, de son indigence et son deuil, les ‘mots de Dieu’ avaient pu doucement faire rejaillir la dignité de son existence. Long processus de retour à la Vie jusqu’à ce jour où, la tête relevée, elle arriva au Temple de Jérusalem pour y déposer ses “deux petites pièces de monnaie.”

Quel magnifique chemin de renaissance, de relèvement de nos tombeaux, de retour à notre dignité, celui que l’Evangile tente d’ouvrir jour après jour dans nos existences ! Comme le proclame Zacharie dans son chant d’action de grâces (Bénédictus) pour le salut de Dieu : « grâce à la tendresse, à l’amour de notre Dieu, quand nous visite l’astre d’en haut, pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. » Au Pèlerin, nous savons combien l’accompagnement spirituel est lui aussi si précieux pour oser des choix de vie vers la résurrection.

Guidée par l’Esprit, en m’approchant de ‘la veuve de Jérusalem’ j’ai également découvert son ‘extrême détachement de soi’. Ce jour-là, restée dans son anonymat, elle n’a certainement jamais su que Jésus l’avait vue, admirée et avait parlé d’elle à ceux qui l’entouraient : “En vérité, je vous le dis: cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres.” Pour elle, tout s’est passé en silence et est resté en silence, juste devant Dieu. Mais Dieu, Lui, l’avait vue.

Pierre Teilhard de Chardin écrivait dans une lettre à sa cousine Marguerite (20 septembre 1915[1]) : « Pourquoi tant tenir à toi, dis, au point de te décourager si tu ne te trouves pas développée, favorisée, utilisée, autant que tu le voudrais ? Qu’est donc notre succès individuel auprès du bon plaisir divin ? Et puis, quelles ambitions sont les nôtres ? Être vus, faire autour de nous quelque bruit, créer dans notre petite sphère d’action une agitation appréciable … Est-ce bien là vraiment ce qui mesure la valeur d’une vie ? » 

Jésus est très clair : “cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. Car tous ceux-là, pour faire leur offrande, ont pris sur leur superflu mais elle, elle a pris sur son indigence: elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre.

Il nous redit combien ce « plus », c’est mettre tout ce que nous avons pour vivre, notre don, notre être au service des autres. Peu importe si cela nous semble petit ou même insignifiant en comparaison avec le ‘beaucoup’ des autres. Dieu seul sait.

Il y a quelques jours, Juliana un jeune coréenne de 34 ans est décédée d’un cancer très rare. Dans l’acceptation de la maladie, elle a donné « tout ce qu’elle avait pour vivre » jusqu’au bout: ses talents artistiques de dessin et de chant (elle faisait partie d’un groupe de musique catholique). Jusqu’au bout elle a chanté pour “parler de Dieu”, du sens qu’Il lui avait permis de découvrir peu à peu dans le dépouillement extrême de sa santé, de ses forces, de sa voix, de son souffle.

Puissions-nous suivre les pas de la ‘veuve de Jérusalem’ comme ceux de Juliana en nous laissant traverser par le regard de Jésus qui nous redonne dignité et audace pour ‘donner ce que nous avons pour vivre’, aujourd’hui. Préparons-nous à « recevoir Celui qui vient combler les pauvres »[2]. D’avance bel Avent à vous tous !

Laurence Vasseur – vasseurlaurence@hotmail.com


[1] P. Teilhard de Chardin s.j., Genèse d’une pensée (Lettres 1914-1919), p. 86-87.

[2] Cf. Hymne de l’Avent: Voici le temps du long désir, Où l’homme apprend son indigence, Chemin creusé pour accueillir Celui qui vient combler les pauvres




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