Évangile du Lundi 13 novembre – 32e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Si sept fois par jour ton frère revient à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras » Lc 17, 1-16
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Il est inévitable que surviennent des scandales, des occasions de chute ; mais malheureux celui par qui cela arrive ! Il vaut mieux qu’on lui attache au cou une meule en pierre et qu’on le précipite à la mer, plutôt qu’il ne soit une occasion de chute pour un seul des petits que voilà.
Prenez garde à vous-mêmes ! Si ton frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches, et, s’il se repent, pardonne-lui. Même si sept fois par jour il commet un péché contre toi, et que sept fois de suite il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. »
Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi. »
Méditation
« Il est inévitable que surviennent des scandales ». « Scandaliser » signifie induire autrui dans la confusion du bien et du mal. Comme un serpent qui ondule dans le sable, je peux brouiller les pistes pour que l’autre perde le sens de ce que Dieu veut pour lui. Je peux culpabiliser, tordre l’amour insidieusement. Avec l’autorité des valeurs admises, je peux instiller le vice sous le beau nom de vertu… Une goutte de poison dans un verre peut tuer… Une goutte suffit… Par mes actions, je peux perdre la clé qui ouvre la connaissance et ainsi dérober à mon prochain une issue vers le salut. Sous l’arbre de la connaissance du bien et du mal, je peux être, pour mes frères et sœurs, ce persifleur qui invite à s’approprier le fruit réservé à Dieu en faisant miroiter une toute-puissance de pacotille : « Après tout, Dieu est-il aussi bon qu’on le dit ? Son amour est-il digne de confiance ? », le soupçon, une fois lancé, jusqu’où va-t-il rebondir ? Ainsi, au lieu de sortir des frères et des sœurs hors de l’eau, en étant « pécheur d’hommes », je peux sombrer dans la mer, la tête la première, lesté par une « meule en pierre ». Le mouvement du salut est alors inversé…
L’humanité est le Corps du Christ. Ces « petits » ne sont pas des poussières négligeables à balayer, mais les « petits » sont la présence du Christ sur la terre (Mt 25). Face à la solidarité qui existe entre les hommes, induire la chute d’un petit est plus grave que de tomber soi-même. Quand je donne à mon frère un verre d’eau au Nom du Christ (Mt 10,42), suis-je sûr que je n’y glisse pas une petite goutte de poison ?
Le regard du Sauveur prend de la hauteur. Il parcourt toute l’histoire humaine. Dans le tissu de l’histoire qui couvre tant de siècles, il est « inévitable » que des scandales surviennent, que des chutes renversent les plus beaux projets. Nous sommes pécheurs. Mais, cela ne justifie rien. Invoquer l’immensité des pays ou la longueur des siècles n’est pas une excuse que je pourrais brandir pour me disculper face à Dieu.
Au contraire, contre les égarements, ma responsabilité est de proposer des voies de réconciliation. Face à ce que le péché referme, mon rôle est de rendre une respiration possible.
Pardonner est-il possible à l’homme ? Bien-sûr que non, puisque c’est un pouvoir divin ! Pourtant, Jésus nous invite à participer au pouvoir divin du Fils de l’homme qui pardonne les péchés (Mt 9,6). Là où le péché dé-construit la Création, Jésus nous propose de re-construire avec Lui. Pour recueillir cette participation à un pouvoir si beau, la foi des « petits » est nécessaire. Une foi modeste reconnaît que nous recevons le pardon de Dieu. Le pardon n’est pas un acte qui manifesterait notre puissance. Dans Cinna ou la clémence d’Auguste, le dramaturge français Corneille imagina, au XVII° siècle, le pardon concédé par l’Empereur Auguste au traître Cinna. De toute sa supériorité, Auguste s’adresse à Cinna (acte V, scène 1) :
« Prends un siège, Cinna, prends, et sur toute chose
Observe exactement la loi que je t’impose »
Face à Dieu, nous ne sommes pas comme ce César qui exerce la clémence comme une preuve de la supériorité de son pouvoir impérial. La foi n’est pas une question de degré de puissance, ni une quantité à accroître. C’est une petite graine accueillie d’un Autre. Dans l’humilité, la foi mendie d’auprès de Dieu le génie d’une invention d’amour. Dans une consultation gériatrique, une vieille répète le refrain de la performance : « Je suis devenue inutile, c’est fini… » Le médecin se tourne vers sa fille assise aux côtés de sa mère : « Qu’en pensez-vous ? » En pleurs, sa fille répond : « Maman, tu n’es pas inutile, tu sers à nous aimer. » Réponse géniale qui remet l’amour au centre.
Lorsque le refrain de mort tourne « sept fois par jour » et que la repentance se renouvelle sept fois, c’est l’occasion de re-croire au pardon qui récrée. Symboliquement, « sept » est le chiffre de la Création qui s’accomplit parfaitement dans le regard de Dieu (Gn 2,2). C’est dans le « sept », qu’une foi minuscule « comme une graine de moutarde » trouve l’énergie du Saint Esprit qui desserre l’angoisse du péché, écarte les mâchoires de l’« inévitable » pour rendre la vie possible. Tous les jours, l’Esprit invente des miracles. A ceux qui méritaient de sombrer dans la mer du mal et de la mort, l’Esprit propose de s’enraciner dans cette mer comme un arbre qui marche. Irrigué par l’eau vive de Dieu (Ps 1), l’arbre humain grandit… même dans l’eau salée de la mer !
Vincent REIFFSTECK. vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
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