No 64 – série 2024-2025
Évangile du lundi 11 novembre – 32e semaine du Temps ordinaire
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Si sept fois par jour ton frère revient à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras » (Lc 17, 1-6)
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Il est inévitable que surviennent des scandales, des occasions de chute ; mais malheureux celui par qui cela arrive ! Il vaut mieux qu’on lui attache au cou une meule en pierre et qu’on le précipite à la mer, plutôt qu’il ne soit une occasion de chute pour un seul des petits que voilà.
Prenez garde à vous-mêmes ! Si ton frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches, et, s’il se repent, pardonne-lui. Même si sept fois par jour il commet un péché contre toi, et que sept fois de suite il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. »
Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi. »
Méditation – Être gardien de son cœur et de celui des autres
« Il est inévitable que surviennent des scandales, des occasions de chute ». En lisant ces mots de Jésus, j’ai eu un double sentiment, presque contradictoire. A la fois un soulagement, celui de savoir que Lui, notre Dieu, Il sait. Il sait qu’il est inévitable sur cette terre que « surviennent des scandales et des occasions de chute ». Il connaît « notre pâte humaine », comme le proclame le psalmiste : « Il sait de quoi nous sommes pétris, Il se souvient que poussière nous sommes. » (Psaume 103,14). Et puis de l’autre côté, j’ai senti une profonde tristesse en pensant à cette liste malheureusement interminable de « scandales et d’occasions de chute » qui ne cessent de nous être révélés. Des scandales non seulement dans nos sociétés hyper informées, mais aussi au sein de l’Eglise. Des noms et encore des noms – certains parfois très connus et même presque ‘canonisés’ d’avance – continuent de se rajouter tristement à la liste …
Quand la double vie de ces personnes, leur mal commis volontairement – caché parfois durant des décennies -, sont tout à coup dévoilés en pleine lumière, c’est un vrai ‘scandale’ – une pierre d’achoppement[1] – qui fait trembler et vaciller notre foi, brise profondément notre confiance … Qui peut-on croire alors ? En qui mettre notre confiance si même celui-là, lui aussi … nous a finalement trompés ? Remontent peut-être dans notre mémoire des visages, des paroles, des actes qui ont profondément ‘scandalisés’ notre cœur. Dans la prière et le silence, déposons-les – si nous le pouvons – devant Celui qui sait toutes choses.
Mais tout en méditant ces lignes de l’Evangile, j’ai lentement compris que l’intention du Seigneur ce matin n’est pas de nous inviter à dresser cette liste honteuse. C’est vers nous, vers chacun, vers moi que sa Parole se dirige. S’Il nous dit que les scandales sont inévitables, Il rajoute surtout « malheureux celui par qui cela arrive ! » Cette Parole si forte, serait-elle une sentence de condamnation définitive pour « ceux-là par qui cela arrive »? « Il vaut mieux qu’on lui attache au cou une meule en pierre et qu’on le précipite à la mer, plutôt qu’il ne soit une occasion de chute pour un seul des petits que voilà. »
‘Il vaut mieux’ … ‘plutôt que’. Dans cette balance, qu’est-ce qui pèse donc le plus aux yeux de Dieu ? Ce que je devine en filigrane dans ces mots de Jésus, ce sur quoi Il est incapable de transiger, c’est sur la valeur de la vie. L’existence de quiconque, de toute personne, celle de chaque enfant innocent, d’« un seul de ces petits » est infiniment précieuse. Tellement précieuse que provoquer sa chute par notre comportement est pire que tout. « Il vaut mieux qu’on attache au cou [du coupable] une meule en pierre … plutôt que … ». Jésus sait combien le plus petit manque d’amour, le plus petit acte de rejet, d’exclusion, combien le plus infime geste d’abus peut provoquer la chute – être un scandale – pour toute autre personne.
Alors, Il ne peut que nous dire avec force : « prenez garde à vous-mêmes ». Dans l’Évangile en coréen, cette phrase est traduite comme ceci : « prenez garde mutuellement » (« prenez garde les uns des autres »). Cette précision me semble fondamentale ! Elle nous rappelle que la ‘garde du cœur’ – que les Pères du Désert ont enseignée -, n’est pas uniquement une responsabilité individuelle. Nous avons besoin de l’aide de nos sœurs et de nos frères, de ‘bons amis dans le Seigneur’ comme disait St Ignace de Loyola, pour demeurer dans la lumière. Comment nous aidons-nous ‘mutuellement’ à prendre soin de notre cœur, à être vigilants quant à nos paroles, nos actes, nos pensées ? « Si ton frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches et, s’il se repent, pardonne-lui. »
Dans le livre de la Genèse, Dieu demande à Caïn : « Où est ton frère ? Et lui de répondre : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9) Et bien, oui ! Dieu a voulu faire de chacun un gardien pour son frère, sa sœur. Il désire compter sur notre capacité d’amour, de vigilance, pour que nous prenions soin les uns des autres.
Il y a un magnifique dialogue mis en scène dans l’œuvre théâtrale Le divin impatient de J. M. Pemán (El divino impaciente) où le jeune fougueux François Xavier reproche à Ignace de Loyola de se préoccuper autant de lui. Presque fâché, Xavier lui dit: – « Mais qui te commande donc d’être mon gardien ? Ignace lui répond alors : – La douleur de ton âme ardente, Xavier. Cela me fait mal de la voir brûler sans qu’elle ne donne ni lumière ni chaleur. Tu es comme un ruisseau sauvage qui, sur la pente déserte, s’écoule déchaîné. Pendant que le ruisseau dévale, le jardin, lui, se dessèche !
- Ignace, celui qui cherche la renommée ne vit pas en vain.
- Mais à quoi bon gagner le monde si tu te perds toi-même, Xavier ?
- Tu veux m’ôter ce feu et ce désir de triompher ?
- Je ne te l’enlève pas, je viens au contraire te le donner. Je viens mettre l’inquiétude entre ta vie et ton âme. Je viens élargir, Xavier, en toi-même ta propre mesure. Je veux, dans ta terre, planter de nouveaux épis et de nouvelles fleurs.
- Tu veux donc que je me retire de tout ? Tu me demandes trop…
- Et je t’offre bien plus ! Ne vois-tu pas que ton destin est divin et que de cette manière tu restes à mi-chemin de ta propre route ! »
Sans la ‘garde du cœur’ d’Ignace, François Xavier ne serait certainement jamais devenu le grand missionnaire des terres d’Orient que nous connaissons ! Ignace avait pu patiemment accompagner le murmure de l’Esprit Saint dans le cœur inquiet de son jeune ami. Il ne l’a pas laissé à mi-route. La vie de François Xavier était trop précieuse, et elle le serait pour tant et tant d’autres.
« Prenez garde à vous-mêmes, prenez garde mutuellement ». Puisse l’appel clair et urgent de Jésus résonner dans notre cœur aujourd’hui. Beaucoup de nos contemporains soufflent à nos oreilles ces mots de la poète Marie Noël : “Je n’ose plus avancer ni reculer. Il faut que quelqu’un me tire de là. Je n’avancerai plus que quelqu’un ne me donne la main. Je n’avancerai plus qu’en fermant les yeux, sans voir mes pieds. Et tous mes pas seront dans la main de mon guide.”[2]
Laurence Vasseur – vasseurlaurence@hotmail.com
[1] Le mot, d’origine grecque, est passé dans les langues modernes à travers le latin de la Vulgate. Si nous ouvrons le Bailly, nous trouvons les seules équivalences suivantes pour skandalon : « piège placé sur le chemin, obstacle pour faire tomber ». […] Le mot passe en latin chrétien à partir du IVe-Ve siècle sous la forme scandalum, « ce sur quoi on trébuche », au propre et au figuré, en particulier dans l’expression petra scandali, « pierre d’achoppement ». Cf. Histoire du mot « scandale » par Olivier Got https://shs.cairn.info/revue-sigila-2014-1-page-13?lang=fr#re1no1 (page consultée le 5 novembre 2024).
[2] Marie Noël, Notes intimes.
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