Méditation quotidienne du lundi 10 juin : Pleurer avec Dieu pour naître à la vie (No 267 – série 2023-2024)

Évangile du Lundi 10 juin 10e Semaine du Temps Ordinaire (tiré d’AELF)

« Heureux les pauvres de cœur » Mt 5, 1-12

En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. »

Méditation

« Heureux ceux qui pleurent… » Lue avec les yeux du monde, cette phrase compte parmi les plus absurdes et les plus cruelles. Comment ceux qui pleurent seraient-ils heureux ? Dans un monde qui chasse Dieu pour laisser entrer la guerre, le bonheur peut-il survivre ? Des cascades de chagrins s’écroulent d’une génération sur l’autre. Nous le lisons tous les jours dans les journaux : les générations antérieures lèguent leurs lots de haines aux enfants qui s’empressent de les cultiver et dans leurs plaies naissent des armes nouvelles. Le chagrin est une matière poisseuse qui colle le souffle des mots, il éteint la vérité des voix. Les gens se frôlent sans se parler et les bouches qui s’ouvrent ne forment aucune parole. Aucun sens ne parvient aux oreilles de ceux qu’ils côtoient. La violence surgit toute armée d’un silence mort. L’écrivain Louis-Ferdinand CÉLINE a décrit cet effondrement qui absorbe la parole du malheureux : « Autant pas se faire d’illusion, les gens n’ont rien à se dire, ils ne se parlent que de leurs peines à eux chacun, c’est entendu. Chacun pour soi, la terre pour tous. Ils essayent de s’en débarrasser de leur peine, sur l’autre, au moment de l’amour, mais alors ça ne marche pas et ils ont beau faire, ils la gardent tout entière leur peine, et ils recommencent, ils essayent encore une fois de la placer. » (1)

Cette exhalaison sans mots et sans paroles… Dieu ne s’en moque pas ! Dieu voit (Ex 3,7). Ce souffle coupé par la douleur… Dieu le recueille. Expulsé par les violences, Dieu se retire dans un lieu secret pour pleurer. Le prophète Jérémie révèle que l’arrogance des méchants bouleverse le Très-Haut : « Et si vous n’écoutez pas, dans des lieux secrets, mon âme pleurera à cause de l’arrogance et mes yeux seront inondés et se répandront en larmes, puisque le troupeau de l’Éternel aura été capturé. » (Jr 13,17) (2). Ce langage émotionnel ne conduit pas vers un apitoiement désespéré. Au contraire, les larmes de Dieu disent que la « descente de la Parole de Dieu en proximité des hommes, ne s’impose pas avec insistance, force et violence : elle dépend de la capacité d’écoute propre à chacun, de sa disponibilité et de son empressement à interroger ce Verbe avec une intelligence qui ne s’offense pas d’être nourrie par la sève émotionnelle conférant à la vie de chacun un goût unique. » (3) Ce langage émotionnel s’adresse au corps sensible, à notre chair si tendre aux caresses et si vulnérable aux coups. Que dit ce langage des larmes ? Il dit qu’il existe des pleurs qui ne se résignent pas… des pleurs qui inventent un autre espoir… À travers les larmes, Dieu résiste au mal en espérant une vie pour ceux qu’Il aime.

À force d’imaginer un Dieu blindé dans sa toute-puissance, enfermé dans son ciel, on oublie que Jésus pleure à plusieurs reprises (Jn 11, 32-36 ; Lc 19, 41-42 ; He 5,7). Ces pleurs divins sont une bonne nouvelle ! Contre la tentation du désespoir qui veut tout engloutir, un lieu inconnu émerge des larmes de Jésus, c’est un lieu d’humanité qui refuse de céder le dernier mot au malheur. Dans la prière et dans les larmes, Jésus adresse au Père nos vies brisées. Le Verbe révèle un lieu tenu secret comme une étincelle qui résiste à la nuit. Dans la faiblesse de notre chair, un point de vie se rebelle contre la mort.

« Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » Le verbe grec qu’on traduit par « consoler » a des harmoniques qu’il faut écouter. « Consoler » en grec, c’est : appeler auprès de soi, appeler à son secours, prier, convier. C’est aussi faire naître, encourager. « Consoler », c’est aider à surmonter un obstacle pour que la vie poursuive sa route. Dans l’oraison, nous rejoignons ce lieu où Dieu nous parle. Dans ce lieu sur lequel nous n’avons pas de prise, Dieu nous aide à dépasser les obstacles. « Car si Dieu, dans l’oraison nous éprouve, ce n’est pas pour nous ralentir, ni nous briser. C’est pour nous transformer. » (4) Alors s’opère une transfusion d’amour… Dans notre vie à bout de souffle, Dieu fait naître une présence divine. Il est alors possible de faire l’expérience que, sous le soleil cuisant des épreuves, s’ouvre, pour ceux qui aiment, une ombre rafraîchissante. Ce paradoxe interpelle notre vie la plus concrète. Dans l’oraison, le Christ nous mène vers des profondeurs. Sans quitter notre précarité, Il révèle en nous un mode d’être éternel. Les plaisirs passagers du bien-être ne sont pas nos seules ressources comme l’imagine un monde matérialiste angoissé. Notre vie en Christ trempe dans le mystère de Dieu. Or, Dieu est bonheur.    

Vincent REIFFSTECK            vincent.reiffsteck@wanadoo.fr

(1) Louis-Ferdinand CÉLINE (1994-1961), Voyage au bout de la nuit, (publié en 1932), p.292, Folio n°28.

(2) Traduction proposée par la philosophe Catherine CHALIER dans le Traité des Larmes – fragilité de Dieu, fragilité de l’âme, coll. Spiritualités vivantes ALBIN MICHEL, 2003 Poche 2008, p.89. 

(3) p.102 et suivantes.

(4) Père Pierre-Marie de la Croix, L’oraison du pauvre, chapitre 4, p.40, édition du Carmel.

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