Évangile du Jeudi 30 mai – 8e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Mc 10, 46b-52
En ce temps-là, tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin. Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.
Méditation
L’Évangile d’aujourd’hui est une illustration formidable des conséquences des blessures sur notre vie humaine spirituelle et de la puissance de résurrection du Christ sur ces mêmes blessures. Combien d’enfants ont disparu devant leurs parents ? Qu’ils sont devenus des fils ou des filles de Timée ? C’est-à-dire qu’ils n’ont pas pu devenir qui ils sont en découvrant leur véritable nom, car ils sont devenus les « fils ou filles (Bar) de l’honorable (Timée) », ou encore, parce qu’ils sont devenus les « fils ou filles du contaminé » (ces deux traductions du nom de Bartimée étant proposées dans une note dans la Bible d’André Chouraqui).
Chez Chouraqui, les « esprits mauvais » de la Bible de Jérusalem sont traduits par « souffles contaminés », ce qui veut dire que Bartimée est vu comme « fils du mauvais, du contaminé ». C’est un fils donc qui est déformé par le mal et livré à ce mal. Et ce mal se précise par la deuxième traduction, signifiant que son père lui-même n’existe pas, car son identité lui est offerte par les honneurs. Un père qui n’existe que par le rôle qu’il occupe et les honneurs que lui apporte son rôle ne peut engendrer un fils à lui-même.
Le fils ne peut exister, entrer dans sa propre identité, car il est là, lui aussi, pour donner honneur à son père, selon le rôle que ce dernier s’est créé. N’est-ce pas la nature même du mal, du Mauvais, que l’obligation d’abolir l’autre pour maintenir sa propre abolition ? Car le péché, la source du mal, est toujours de vouloir « devenir comme un dieu » ou, pour le dire autrement, devenir ce que nous ne sommes pas pour espérer exister.
Dans l’illusion de « devenir comme un dieu », nous renonçons à nous-mêmes et refusons du même coup la relation à Dieu, qui veut nous partager sa divinité. En jouant à dieu au lieu d’être divinisé par Dieu et naître à notre nom unique en Lui, nous sommes sans nom comme Bartimée et, par voie de conséquence, nous sommes incapables d’entrer en relation avec un A(a)utre; vivant dans l’abolition de soi, nous ne pouvons qu’abolir l’A(a)utre. Et toute notre vie nous mendions auprès de l’autre un « droit d’exister », d’avoir une place, d’être enfin reconnu pour soi.
Ce jour-là, Bartimée, sachant que Jésus était là, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Il lui demande en fait de lui donner accès à ce qu’il n’a jamais pu toucher : son nom, son identité filiale unique. Alors en lui et autour de lui, il est « rabroué » par cette foule de gens qui l’ont maintenu dans l’abolition de lui-même. Ces derniers ne veulent pas qu’il existe, car cela les obligerait à se regarder eux-mêmes et prendre conscience qu’ils n’existent pas eux-mêmes. Mais le « fils de l’honorable » ou « le fils du contaminé » pressent en lui l’existence d’une autre réalité, et que, si cette identité a été abolie au cœur de la relation, il a besoin d’une relation au Tout-Autre pour exister dans son mystère, sa dignité et sa beauté. C’est pourquoi il crie à nouveau…
Jésus saisit bien l’enjeu, car il dit à ses apôtres : « « Appelez-le » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle » ». Le cœur de la guérison humaine est d’entendre Dieu et d’entendre chaque humain nous appeler par notre nom. Ainsi, la parole de l’A(a)ure qui s’adresse en je suscite notre je et nous donne le droit d’exister, nous rappelle notre valeur intrinsèque (non extérieure) et nous permet d’avoir accès à notre identité filiale unique, à la parole de Dieu unique que nous sommes dans l’Unique Parole qu’est le Fils.
Bartimée pose alors un geste de foi extraordinaire que Jésus remarque : « l’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus ». « Jeter son manteau » signifie littéralement abandonner la fausse identité de laquelle il a été revêtu toute sa vie. Il refuse ainsi au mal de prendre encore pouvoir sur lui et il se place avec foi devant Jésus prêt à accueillir de Lui son identité véritable. Jésus, « prenant la parole », suscite en ce fils sa propre parole : « « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit (reconnaissant son aveuglement) : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » »
« Va, ta foi t’a sauvé. » Sa foi est passée du mensonge d’une fausse identité à la foi en son identité véritable. Ainsi « aussitôt l’homme retrouva la vue ». Voilà le réel salut en le Fils ! Il est venu en ce monde redonner la vue aux aveugles, c’est-à-dire à tous ces hommes ou à toutes ces femmes qui vivent sans se voir et sans voir l’A(a)utre, qui vivent continuellement à côté de la et de leur vie. Quelle extraordinaire expérience que de « voir » et de contempler enfin la Vie, et passer ainsi de l’abolition de soi dans l’illusion de « l’honorable » à l’indicible beauté divine de notre propre mystère en Dieu !
Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)
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