No 179 – série 2024-2025
Évangile du jeudi 20 mars – 2e semaine de Carême
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Tu as reçu le bonheur, et Lazare, le malheur. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance » (Lc 16, 19-31)
En ce temps-là, Jésus disait aux pharisiens : « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux. Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères. Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.
Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui. Alors il cria : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. – Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.” Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !” Abraham lui dit : “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! – Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.” Abraham répondit : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »
Méditation – Entre l’abîme et l’intime
Une Parole d’intimité ce matin à travers ce passage, à travers l’abîme séparant Lazare du riche. Lazare, ce mendiant réduit au dénuement avec ses ulcères, ses chiens et sa faim porte pourtant un nom : El -Azar, Dieu qui vient en aide. Lazare, connu et nommé, s’est retrouvé sur le chemin d’un riche anonyme, inconnu, qui ne cesse d’inviter, de s’entourer et de fêter chaque jour durant. Dieu a offert la proximité pour aider autant Lazare que le riche. Il a offert un possible plein d’intimité et d’humanité au plus près de la propriété, tout juste adossé au portail. Une porte ouverte sur d’autres riches, tous aussi anonymes et qui semblent avoir ignoré, eux aussi, la rencontre et l’accueil annoncés. En effet, le texte ne mentionne aucun secours. L’ont-ils contourné de loin pour s’introduire rapidement à travers le portail entrouvert ? Au plus près, Lazare a sans doute entendu, la flûte qui enchaînait les fêtes alors qu’il n’y avait plus d’occasion de célébrer depuis longtemps déjà. Autant de mise à distance qui sont autant de mises à mort. Seule la condition de pauvreté, peut-être temporaire, soudaine ou victimaire de Lazare, explique le portail fermé, la fête réservée, l’exclusion normée, les convenances d’être riche.
La psychanalyste Marie Balmary commente la parabole du jeune homme riche (Mc 10.17-31) en évoquant la difficulté des riches d’entrer au Royaume de Dieu. Elle affirme : « « Difficile » : le mot grec « duskolos » est celui qu’on emploie pour parler de quelqu’un de difficile en matière de nourriture. Un riche n’aura pas le goût du Royaume de Dieu, car en ce Royaume on n’entre pas en ayant des biens ni même en faisant bien, mais en entrant en relation avec le prochain comme avec soi-même (Ce lieu que nous ne connaissons pas, 2024, p. 114) ». Ce goût de l’autre, cette soif d’authenticité empreinte d’une pauvreté si riche et d’une nudité si libre. Laisser une possession, fut-elle matérielle ou relationnelle, pour recevoir une vie hors-norme par ce Dieu qui se donne librement par, avec et pour l’autre. Autrement dit, faire co-naissance.
Dans la parabole du jeune homme riche, il sera aussi question de la facilité du chameau, le plus imposant des animaux domestiques, de passer à travers le chas d’une aiguille. Le chameau s’agenouille pour répondre aux commandements de son maître, il se conforme à la loi aussi dure et rigide qu’une aiguille (p. 114). Une loi, terriblement convaincante, qui alimente de faux systèmes de salut, qui nourrit des idoles et irriguent les inégalités. Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus.
Ce goût du Royaume, ce goût de l’autre, nous dés-approprie et nous rend à Dieu, en nous faisant entrer dans son intimité. Intimité encore, au moment de sa mort, ce sont des anges qui emporteront Lazare auprès du premier père et prospère, Abraham. Ce sera plutôt un « on », terre à terre et indéfini, qui signifie peut-être un je, peut-être un nous, un tu ou un vous, qui enterre le riche inconnu avec sa pourpre et le fin de son lin.
Du portail qui met à distance la pauvreté de mon prochain à la petite porte étroite qui ne laisse entrer dans le Royaume que celui qui s’abaisse, nous sommes chacun et chacune des signes de ce Dieu vivant qui vient en aide. Pauvres, vulnérables et ressuscités comme Lazare, puissions-nous conserver ce goût si riche de l’autre, si intime de l’Autre; ce goût qui est la saveur du Royaume!
Barbara Martel – bmartel@lepelerin.org

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