No 119 – série 2024-2025
Évangile du dimanche 19 janvier – 2ème dimanche du temps ordinaire
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée » (Jn 2, 1-11)
En ce temps-là, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
Méditation – Épousés par le Christ !
Là, dans ce qui nous tient le plus à cœur…
Le Christ est au rendez-vous de nos aspirations les plus profondes : celles-là même pour lesquelles nous nous sommes engagés au nom d’un appel qui donnait sens à notre vie. En cet engagement se recueillait le meilleur de nous-mêmes dans l’amour qui appelait le don de notre vie sans réserve. Plonger… risquer… s’engager… ne vouloir rien réserver de nous-mêmes… Se donner, dans la vérité et la conscience qui nous habitaient en cet instant fragile et audacieux du plongeon.
Cet amour n’était pas parfait, bien sûr… nous le savons trop… mais toute notre vie se faisait offrande pour un chemin dont les lendemains et l’issue nous restaient largement inconnus. Ce chemin portait le goût du large. S’engager, saisir le moment présent… en faire le point tournant d’un choix dans la liberté, donner à la grande voile ce gouvernail où, à la lumière d’une étoile, nous prenions le risque d’une direction pour un visage, pour un amour, pour une alliance avec l’autre, pour des enfants, des malades, des personnes seules ou en situation de pauvreté, pour la justice, la paix, la réconciliation, la guérison. Oui, accueillir et écouter en embrassant le Mystère unique de l’autre… Consacrer sa vie !
Et là, dans le mystère de ce qui nous tient le plus à cœur, Jésus, présent !
Dépossédés de notre saisie…
C’est Marie, un regard de femme, qui perçoit le manque. Le maître du repas ne l’a pas constaté, ni le marié… Cette perception du manque… empreinte visible pour celle qui désire le meilleur pour l’autre. C’est sur le fond de notre désir profond que le manque se démarque… Ce désir profond où respire une mission pour d’autres. Et c’est à Jésus que Marie fait part de ce manque, sans même y inscrire une demande. Simplement, elle nomme ce manque, détachée de toute solution, abandonnée, entre ses mains.
« Femme, que me veux-tu? Mon heure n’est pas encore venue. » La réponse de Jésus à sa mère est bien loin d’un « oui, maman! », assorti de la solution proposée. Sa réponse inscrit une distance…. Une écoute, un accueil, une présence… à distance… même envers celle qu’Il aime et qui lui est si précieuse. La réponse de Jésus semble presque une fin de non-recevoir… Quand le réel semble contredire nos espérances et nos appels…
Marie n’entre pas en discussion ou en négociation avec son Fils. Sa foi lui donne d’enjamber le « rugueux »[1] de la réponse de Jésus, sans se laisser décontenancer, pour s’adresser aux serviteurs. Elle fera simplement résonner le secret de sa vie : qu’il me soit fait selon ta Parole ! « Tout ce qu’Il vous dira, faites-le ! ». La réponse ne lui appartient pas. Si la prise de conscience de la radicalité du manque est le privilège de ceux qui portent un désir profond, la disponibilité à l’Agir de l’Autre appelle une remise de soi sans réserve. La foi de Marie invite les serviteurs à plonger dans l’écoute et l’obéissance à la Parole de Jésus, cette Parole digne de confiance, dont elle ignore encore tout… Elle viendra cette Parole… elle en a la certitude.
Sur sa Parole
Saisir l’ordinaire de ce qui nous est disponible et accessible : cette eau qui semble bien fade pour cette Alliance… Et remplir à ras bord… dans la générosité qui ne calcule pas, sans s’économiser, sans laisser le réel affadir l’engagement… remplir jusqu’au bord…
« Six jarres de pierre pour les purifications rituelles »… Ces jarres sont vides… comme le vide qui se révèle dans la conscience de notre besoin d’être sauvé… comme le vide de ce qu’a donné la logique de vouloir gagner notre purification… vide comme le vide de nos pratiques… vide comme l’épuisement de notre vitalité lorsque nous ne faisons que nous appuyer sur nos capacités et nos propres forces… Vide…
Six… chiffre de l’imperfection, qui rend visible le manque[2]. Jésus nous demande de remplir avec le simple de nous-mêmes ces jarres expressives de nos limites, de ce qui n’est pas parfait. Il nous est si facile de nous servir de la conscience de notre manque pour abdiquer et démissionner de nous-mêmes, pour douter, pour se soustraire de la vie et de l’amour, pour demeurer en exil de soi.
« Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Rencontre du réel, geste vertigineux où l’eau sera confrontée au premier vin, moment de vérité où ce qui a surgi de la vendange du Christ du fond de notre manque, rencontre le fruit de la vendange humaine. Le maître du repas saisit le contraste en goûtant le meilleur de ce vin, dans l’étonnement qu’il surgisse au moment où habituellement, le moins bon s’offre aux invités émoussés par le temps et l’état d’ébriété de ce qui nous consomme.
Incognito
Le marié et le maître du repas ne savent rien de la provenance de ce nouveau vin. Ils en constatent la réalité, sans en mesurer la provenance. Ils ne semblent même pas avoir été conscients du manque qui menaçait la fête. Même le marié se verra offrir un compliment de la part du maître de la noce dans l’ignorance de ce qui s’est passé. Peuvent-ils simplement deviner d’où vient ce vin ?
Le geste de Jésus n’a rien d’une campagne publicitaire… Il s’efface dans le mystère du Don qu’Il nous fait. Il choisit de se revêtir du manque qui fait partie de notre vie pour y inscrire cet Amour qui fait surgir une abondance (l’équivalent de 700 bouteilles de vin) et une plénitude de saveur.
Les serviteurs le savent eux ! Ils sont conscients du manque de vin, ils sont partie prenante du chemin vers l’abondance qu’ils ne verront peut-être qu’à travers la réaction des autres qui goûteront. Ils auront vécu le vertige de la provenance de cette « eau » offerte pour cette fête essentielle de l’Alliance et soumise à la dégustation du maître du repas, déjà réjoui du premier vin.
N’est-ce pas ce que nous vivons lorsqu’à partir de notre être-parole, nous entrons dans la mission inscrite en notre identité profonde ? Surpris que d’autres goûtent à ce meilleur vin à travers nous, notre propre nuit s’éclaire d’une étoile : nous sommes habités par ce secret de l’Agir de Dieu au cœur de notre manque, qui nous demande simplement d’offrir l’ordinaire de ce que nous sommes, à travers les limites de nos mots, de nos silences, de nos gestes… Sans forcer… dans l’écoute du gémissement de l’Esprit en l’autre.
Et puis, chez les juifs de ce temps, il revenait à l’époux d’offrir le vin pour la noce.
Ce vin nouveau vient du Christ qui a choisi de nous épouser !
Puisse notre vie, jusqu’à l’espace attendu de nos manques, dire « oui » à son Amour !
Paolo Maheux – maheux.paolo@gmail.com
[1] Comme une planche non planée, qui a le mérite d’être encore plus solide et épaisse.
[2] Le chiffre 7 symbolise l’unité, le chiffre que l’on ne peut diviser, le chiffre de la perfection, dans la communion.
DROIT D’AUTEUR
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