Méditation : La joie du pauvre (No 97)

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Évangile du Samedi 15 janvier 2022 1re semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » Mc 2, 13-17

En ce temps-là, Jésus sortit de nouveau le long de la mer ; toute la foule venait à lui, et il les enseignait.
En passant, il aperçut Lévi, fils d’Alphée, assis au bureau des impôts. Il lui dit : « Suis-moi. » L’homme se leva et le suivit.
Comme Jésus était à table dans la maison de Lévi, beaucoup de publicains (c’est-à-dire des collecteurs d’impôts) et beaucoup de pécheurs vinrent prendre place avec Jésus et ses disciples, car ils étaient nombreux à le suivre. Les scribes du groupe des pharisiens, voyant qu’il mangeait avec les pécheurs et les publicains, disaient à ses disciples : « Comment ! Il mange avec les publicains et les pécheurs ! » Jésus, qui avait entendu, leur déclara : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. »

Méditation

Je crois que la phrase la plus simple et la plus difficile à vivre se trouve en ce passage évangélique. « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » Ce qui me permet de le dire est la tendance constante dans les évangiles des scribes et des pharisiens, comme dans l’Église depuis des siècles, de se canoniser justes face aux pauvres pécheurs.

Il semble que, du moment où nous prions, où nous avons une pratique chrétienne, où nous aidons, etc., nous voilà justes… à un point tel qu’il y a nous puis les autres. Mais Jésus est venu pour les malades, pour “ceux, traduira Chouraqui, qui ont mal” (v. 17). Comme le répondait Jésus au jeune homme riche, “Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul.” (Mc 10, 18); il nous faut donc dire que personne de nous n’est juste. Toutes et tous nous sommes pécheurs, des personnes qui, cent fois par jour, manquent la cible, ont mal ou font le mal. Et lorsque nous nous campons dans notre justice, nous glissons plutôt dans les jugements et Jésus n’a plus de place en nous. Seul Dieu est juste, et s’il y a quelque justice en nous, elle nous est donnée gratuitement de par la Présence de Celui qui nous habite. Et de nos jugements et de la justice véritable de Dieu, nous en avons un bel exemple dans le texte.

D’abord, Jésus appelle Lévi, un pécheur bien étiqueté et condamné par les pharisiens, car il travaille “au bureau des impôts”. Puis Jésus va manger chez lui ” avec les pécheurs et les publicains “. Quel contraste entre l’appel des pécheurs par Jésus et sa venue chez eux (et nous devrions dire “sa venue en eux, dans leur maison intérieure”) et les jugements des pharisiens et leur tenue à distance pour ne pas s’aventurer dans la maison du pauvre (comme dans la leur) et pour clore tout espace dans leur propre coeur au P(p)auvre.

Toute l’oeuvre du Christ est une oeuvre de salut. Si nous nous déclarons justes, le salut ne peut nous rejoindre et Jésus ne peut entrer chez nous, nous révéler notre vraie visage et venir guérir en nous ce qui est blessé, meurtri par le péché. La personne qui touche Dieu n’est pas celle qui se place devant Dieu avec sa grandeur mais avec la conscience profonde de sa maladie, de son mal et du mal qu’elle a commis et transmis, et avec la conscience profonde que tout ce qui est Vie, Beauté, Justice, Amour, Vérité, etc en elles sont des dons de Dieu.

Jésus, dans les évangiles, ne cesse de se révolter en regard de l’injustice des personnes religieuses qui, par leur moralisme, leur intégrisme et leurs jugements, empêchent les personnes de vivre une véritable rencontre avec Dieu, car, pour ces personnes dites religieuses, les pauvres et les pécheurs sont condamnés de par leur pauvreté ou leurs péchés. Et cela nous le voyons dans toutes les religions du monde où, au final, il y a les fidèles et les infidèles, les justes et les pécheurs, les élus et les “sans appel”.

Le but n’est pas d’enfermer les autres dans le mal par notre soi-disant justice mais de les en libérer en leur découvrant la miséricorde de Dieu (que nous avons, au préalable, à vivre nous-mêmes). Une telle prétendue justice est, en réalité, une carapace que nous nous construisons dans un refus de voir la maladie ou le mal qui nous habite. Nous sommes, dans cette dynamique, vite à juger, à condamner, à rejeter, à excommunier, à exclure…, car cela nous donne l’illusion orgueilleuse d’être bien-portants et nous évite le regard lucide sur nous-mêmes et le travail décapant de la conversion.

Toutes et tous, nous sommes pécheurs, malades, touchés par le mal, et c’est là, j’oserais dire, notre plus grande grâce, car Jésus est venu pour nous. Toute vraie justice (pas celle des pharisiens et des scribes) ou tout salut nous vient de Dieu. Si nous acceptons de regarder notre pauvreté ou notre péché avec contrition, il nous sera possible d’entendre l’appel de Dieu pour nous et de nous ouvrir à son inhabitation en nous. Sinon, nous serons comme des pharisiens qui, se proclamant justes, ne pourront vivre les mystères de l’Annonciation et de la Visitation, racontés récemment, et nous ne pourrons dire : “Il est venu habiter parmi nous”. Nous nous tiendrons, comme ces pharisiens, à l’extérieur de nous, des autres et de Dieu et nous ne saurons entrer dans la Vie, car refusant qu’Elle entre en nous, dans notre maison de pauvre.

Entrons de tout coeur dans la joie du pauvre, celle de la transparence habitée de notre pauvreté !

Stéfan Thériault (stheriault@lepeleirn.org)

Texte complémentaire : Extrait des Voeux de Noël du Pape François à la Curie romaine

Il n’est pas facile de comprendre ce qu’est l’humilité. Elle est le résultat d’un changement que l’Esprit lui-même opère en nous à travers l’histoire que nous vivons, comme cela est arrivé par exemple à Naaman le Syrien (cf. 2 R, 5). À l’époque du prophète Élisée, cette personne jouissait d’une grande réputation. C’était un valeureux général de l’armée araméenne, qui avait montré sa vaillance et son courage à plusieurs reprises. Mais à côté de la célébrité, de la force, de l’estime, des honneurs et de la gloire, cet homme est contraint de vivre avec un terrible drame : il est lépreux. Son armure, celle-là même qui lui apporte la gloire, recouvre en réalité une humanité fragile, blessée, malade. Nous trouvons souvent cette contradiction dans nos propres vies : parfois, les grands dons sont une armure qui couvrent de grandes fragilités.

Naaman comprend une vérité fondamentale : on ne peut pas passer sa vie à se cacher derrière une charge, un rôle, une reconnaissance sociale : en fin de compte, ça fait mal. Il arrive un moment dans l’existence où chacun a le désir de ne plus vivre sous couvert de la gloire de ce monde, mais dans la plénitude d’une vie sincère, sans plus avoir besoin d’armures ni de masques. Ce désir pousse le vaillant général Naaman à partir à la recherche de quelqu’un qui puisse l’aider, et il le fait sur la suggestion d’une esclave, une juive prisonnière de guerre qui parle d’un Dieu capable de guérir de telles contradictions.

Après avoir fait des provisions d’argent et d’or, Naaman se met en route et se présente devant le prophète Elisée. Celui-ci demande à Naaman, comme seule condition à sa guérison, le simple geste de se dévêtir et de se laver sept fois dans le Jourdain. Ni gloire, ni honneur, ni or, ni argent ! La grâce qui sauve est gratuite, elle ne se réduit pas au prix des choses de ce monde. Naaman résiste à cette demande, elle lui paraît trop banale, trop simple, trop accessible. Il semble que la force de la simplicité n’ait pas de place dans son imaginaire. Mais les paroles de ses serviteurs le font changer d’avis : « Si le prophète t’avait ordonné quelque chose de difficile, tu l’aurais fait, n’est-ce pas ? Combien plus, lorsqu’il te dit : “Baigne-toi, et tu seras purifié” » (2 R 5, 13). Naaman capitule et, dans un geste d’humilité, il “descend”, enlève son armure et entre dans les eaux du Jourdain, « alors sa chair redevient semblable à celle d’un petit enfant : il est purifié ! » (2 R 5, 14). La leçon est grande ! L’humilité de mettre à nu son humanité, selon la parole du Seigneur, apporte la guérison à Naaman.

Puis plus tard dans le texte, le pape offre cette citation d’Henri de Lubac sj : « Aux yeux du monde, l’Église, comme son Seigneur, a toujours l’aspect d’une esclave. Elle existe ici-bas sous la forme d’une servante. […] Elle n’est ni une académie de scientifiques, ni un cénacle de spirituels raffinés, ni une assemblée de surhommes. Elle est exactement le contraire. Les infirmes, les difformes, les misérables de toute sorte s’y assemblent, les médiocres s’y bousculent […] ; il est difficile, ou plutôt impossible, pour l’homme naturel, tant qu’une transformation radicale ne s’est pas opérée en lui, de reconnaître dans ce fait l’accomplissement de la kénose salvifique, la trace adorable de l’humilité de Dieu » (Méditation sur l’Église, p. 352).

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