Évangile du Samedi 26 novembre 2022 – 34e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver» Lc 21, 34-36
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Méditation
L’alourdissement, l’engourdissement, l’enfouissement du cœur, autant de d’échines courbées, de conscience affaissées, d’absences du soi programmées. L’appel est sans appel et le jour dernier surviendra, imprévisible. Imprévisible parce que déjà là, ponctuant notre quotidien, convoquant nos gestes et nos décisions, savourant les fruits et les actions. Invisible bien souvent devant nos paupières alourdies, notre liberté enfouie. Quand le lancinant qu’ai-je fait de ma vie ? s’abat, le Jugement devient palpable, quelque part entre le renoncement et l’irrévocabilité. Sur quel critère, serai-je jugée ? le même par lequel je serai sauvée ? Dans Un si fragile vernis d’humanité, Michel Terestchenko retient un ultime critère qui distingue ceux qui ont sauvé leurs semblables au péril de leur vie des autres qui ont obéi, participant ainsi à l’anéantissement d’autrui durant la Seconde Guerre mondiale. Les premiers sont restés présents à eux-mêmes et attentifs aux autres dans leur détresse. Les bourreaux, d’autre part, se sont livrés à des actes abominables en étant absents à eux-mêmes comme aux autres. Le Christ exhorte. Restons éveillés en tout temps pour demeurer présents. Restons vigilants, pour ne pas devenir absents. Parent indisponible parce qu’alourdis de soucis, ami engourdi par le divertissement, prochain enfoui dans la blessure chaude et somnolente. Restons en prière, cette relation qui résiste aux bourreaux qui sommeillent en nous, portant les noms d’abandon, de perfectionnisme, de toute-puissance, d’imposture, de rejet, d’assujettissement, d’abnégation.
Le Jugement dernier, particulier et collectif, si l’on se fie aux paraboles dont celle de Lazare et du riche (Lc 16.19-23), est une inversion de la réalité dans laquelle notre conduite en cette vie se poursuivra. Vivant parmi les morts, le riche, vêtu de pourpre et repus de festins, connaitra la torture. Le laissé pour mort parmi les vivants, Lazare l’ulcéreux, pauvre à fantasmer sur les miettes tombées de la table du riche que se disputent les chiens, subit l’existence comme une torture. À sa mort, emporté aux côtés du patriarche, il sera bercé par Abraham, convié à l’éternité savoureuse. Subversion dans la compréhension de l’autorité qui prend sens dans le service, qui s’enracine dans sa capacité à faire grandir l’autre. Au Royaume, le riche continue à endosser ce qu’il a fait subir sa vie durant pour bâtir sa sécurité, s’élever en empilant et s’enfermer dans un égo empourpré. Il s’est construit un monde feutré atténuant le cri de son manque, insonorisé à la misère du monde qui grattait aux portes de sa vie. Proposant de faire un tour de navette spatiale pour afficher sa puissance plutôt que de nourrir ses voisins dans l’indigence.
Le Jugement c’est l’ici et le maintenant, c’est la validation de nos choix présents. Saint Jean nous le rappelle avec force, le critère du jugement c’est la décision que l’on prend debout, nu et resplendissant devant le Christ. La confiance dans un « Dieu [qui] n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n’est pas jugé; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu » (Jn 3.17-18). Peut-il en être autrement avec ce Dieu laveur de pied qui donne jusqu’à peau immaculée ? En refusant la réalisation de soi par l’accueil de l’autre, en demeurant crispé sur ses besoins, la peur, le manque et la suffisance, n’est-ce pas l’éteindre avec son humanité en soi ?
Au fond chaque pas de notre itinéraire spirituel s’effectue à la lumière du Jugement, ligne d’horizon et d’actions. Un horizon venteux comme l’Esprit d’où l’on perçoit le contour du Christ qui éclaire et le murmure amoureux du Père.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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