Évangile du Mercredi 23 novembre 2022 – 34e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu » Lc 21, 12-19
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « On portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. Cela vous amènera à rendre témoignage. Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »
Méditation
Attablée, j’écoute une médecin spécialiste de haut vol qui me raconte son ostracisme professionnel. 38 ans plus tôt, étudiante en médecine, elle avait désobéi aux instructions de son patron afin de sauver une patiente mal diagnostiquée. Je poursuis l’écoute avec cette fonctionnaire placardisée pour avoir refusé d’appliquer une mesure discriminatoire à l’encontre d’une clientèle précarisée, accentuant l’indigence. J’enchaîne les cafés…ce collègue désoeuvré depuis plus d’une décennie, traîné devant les tribunaux du travail pour s’être absenté trop longtemps au chevet de sa fille handicapée, puis cette mère bannie du clan familial pour avoir judiciarisé un fils afin de le contraindre à recevoir les soins qu’il refuse, afin de protéger les adolescentes qu’il agresse. Opprobre, honte, déni… le café refroidit, un énième pot est en route. L’intégrité est un chemin de croix, l’assumer prend de la foi. Au fond, le coût de l’intégrité maintenue, n’est-il pas l’écho du clou qui nous enfonce sur la croix ?
Par définition, le clou est une petite pièce de métal, rigide et pointue, pourvue d’une tête et un sert à fixer ou à décorer. Difficile de mieux définir ceux qui portent atteinte à l’intégrité, cette part d’humanité en soi qui a foi en l’humanité malgré elle. Une part d’humanité qui a quelque chose de plus qu’humain, un surcroît qui divinise comme la miséricorde ou la grâce. Dans sa couverture journalistique du procès d’un officier nazi en 1961 à Jérusalem, la philosophe Hannah Arendt fait scandale. Plutôt que le monstre absolument inhumain que représente l’officier Adolf Eichmann, elle décrit plutôt un petit fonctionnaire terne, sans envergure et sans génie particulier. Ainsi, la banalité du mal naquit, fort éloignée de la perversité surdouée du serpent ou de l’horreur pétrifiante du Léviathan. Un petit clou, qui ressemble à tant d’autres, qui servira à crucifier.
Les silences de Pierre, la trahison sonnante de Judas, les mains proprement sales de Pilate, les paroles petites et pointues des pharisiens. Le mal, l’indifférence, les paroles et le clou fixent. Les lévites et prêtres qui enjambent l’homme tombé, les samaritains qui rejettent une des leurs, assoiffée, nous qui méprisons l’éthique du médecin ou condamnons la mère soucieuse. Autant de clous qui s’enfoncent dans l’intégrité, dans la dignité, dans la vérité. Forcément, suivre le Christ ne pourra que mener vers la croix, vers le cloué, pas de détour possible. Forcément, le Christ a rencontré ces souffrants qui s’aveuglent de déni, qui ne vivent que par leurs propres forces, qui se défendent sans relâche, qui créent des famines relationnelles pour devenir nourriture malgré la toxicité. Justifier perpétuellement leur existence, s’y agrippant comme à une invulnérabilité rocheuse, les blessant continuellement, les isolant perpétuellement. Autant synagogue, cathédrale que prison, une invulnérabilité bâtie, fixe et décorée. Une invulnérabilité cloutée.
Le renvoi de la condition vulnérable, finie, pécheresse et en manque de miséricorde de l’humain contrarie la toute-puissance fortifiée d’autrui. Se défendre en partant à l’assaut de ces forteresses déjà ébréchées, c’est nourrir l’injustice, participer à la banalité d’un système qui protègent les intérêts d’un Pilate ou d’un Eichmann. La sagesse du Christ pour combattre le mal, c’est de pilonner par la tendresse solidaire et la sollicitude responsable. La sagesse du Christ pour combattre la banalité du mal, c’est rappeler le visage humide et humain de Dieu derrière celui de Pilate, l’éclat d’humanité caché dans la conscience affaissée de Eichmann, la dignité profonde d’un Judas, ou la part divine d’une mère violente. Les clous resteront certes dans les mains et la trahison dans l’horizon. Mais l’intégrité, cette empreinte profondément humaine du Christ en soi, couronnera nos têtes de fleurs malgré les épines, couronnera nos têtes encore droites sur lesquelles aucun cheveu n’aura été perdu parce qu’un Dieu éperdu aura posé sa main.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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