Méditation : “Je me lève appuyé sur la courbe de Tes yeux.” (No 50 -série 2022-2023)

Image par Daniel Roberts de Pixabay

Évangile du Lundi 24 octobre 2022 – 30e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Cette fille d’Abraham, ne fallait-il pas la délivrer de ce lien le jour du sabbat ? » Lc 13, 10-17

En ce temps-là, Jésus était en train d’enseigner dans une synagogue, le jour du sabbat. Voici qu’il y avait là une femme, possédée par un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans ; elle était toute courbée et absolument incapable de se redresser. Quand Jésus la vit, il l’interpella et lui dit : « Femme, te voici délivrée de ton infirmité. » Et il lui imposa les mains. À l’instant même elle redevint droite et rendait gloire à Dieu.
Alors le chef de la synagogue, indigné de voir Jésus faire une guérison le jour du sabbat, prit la parole et dit à la foule : « Il y a six jours pour travailler ; venez donc vous faire guérir ces jours-là, et non pas le jour du sabbat. » Le Seigneur lui répliqua : « Hypocrites ! Chacun de vous, le jour du sabbat, ne détache-t-il pas de la mangeoire son bœuf ou son âne pour le mener boire ? Alors cette femme, une fille d’Abraham, que Satan avait liée voici dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer de ce lien le jour du sabbat ? »
À ces paroles de Jésus, tous ses adversaires furent remplis de honte, et toute la foule était dans la joie à cause de toutes les actions éclatantes qu’il faisait.

Méditation

« Rosa, Rosa, quand on fout l’bordel, tu nettoies. 

Et toi, Albert, quand on trinque, tu ramasses les verres. 

Arlette, arrête, toi, la fête, tu la passes aux toilettes »

Dans la chanson « Santé », le chanteur belge Stromae pose son regard sur ceux qu’on ne voit pas, il met à l’honneur les petites gens auxquelles on adresse des remarques assassines :  « Quoi les bonnes manières? Pourquoi j’ferais semblant ?

Toute façon, elle est payée pour le faire, tu t’prends pour ma mère ?

Dans une heure, j’reviens, qu’ce soit propre, qu’on puisse y manger par terre, trois heures que j’attends. »

Cette femme courbée, dans l’évangile de ce jour, ne croise aucun regard humain. Honteuse, elle ne relève plus les yeux vers le Ciel. Son désir épuisé ne se redresse plus pour trouver en Dieu une source de vie. Son amour déformé ne regarde que le sol, cette terre qu’elle rejoindra à la mort… Quelle défaite porte-t-elle si lourdement ? A-t-elle une oreille où déposer son fardeau ?

Comme 7 représente souvent ce qui est complet, achevé, 6 peut être utilisé comme ce qui  est incomplet, ce qui atteint douloureusement ses limites, ce qui est enfermé dans une impasse. 6 x 3 = 18 ans : cette femme vit le comble de l’humiliation ! Elle n’a plus assez de musique dans le coeur pour faire danser la vie. Le fait brut : « infirme depuis dix-huit ans » (v.11) enferme dans une incapacité. « Je ne suis pas capable », se dit-elle. Mais, ce fait brut est repris, retravaillé par le Christ (v.16) dans un geste créateur. L’humiliation endurcit le coeur et ne conduit pas à l’humilité… sauf… si on croise un regard de douceur…

Et voici, qu’en ce jour de Sabbat, le Christ entre dans la synagogue pour célébrer, en communauté, ce jour de prière et de contemplation. « La prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le Ciel » écrivait la petite Thérèse. Mais, est-il si simple de lever les yeux vers un visage ami ? Comment vivre cette évidence enfantine où « Dieu parlait à Moïse face à face comme avec un ami » (Exode 33,11) ?

Le Christ voit cette femme qui ne peut Le voir. Lui, qui incarne la transcendance (l’élévation) du Père, rejoint cette femme dans sa fermeture. Il est le visage d’une transcendance qui se fait proche. Sur notre terre, le Christ est l’amour divin qui se donne en partage. Dès lors, le Christ redresse cette femme dans sa vocation. Il remet sur ses pieds Sa créature. Il la met en marche vers ce Sabbat qui fait mémoire du Créateur qui disait en voyant l’homme et la femme : « c’est très bon ! » (Gn 1,31). Jésus dirige cette femme vers ce Sabbat de libération hors de l’esclavage d’Égypte (Exode 3,8). Pour Jésus, les institutions (le Sabbat, la synagogue, la communauté religieuse) n’ont de valeur que si elles se mettent au service de la personne libérée, restaurée dans sa filiation. Alors que les groupes humains (qui ont une autre logique) n’hésitent pas à sacrifier les individus les plus faibles pour consolider leur cohésion interne, Jésus pose un regard sur le maillon faible.

Notre société de consommation fabrique des déchets, des rebuts humains qu’on ne veut plus voir… des jetables… Notre société hiérarchique tourne en produisant des exclus qu’on dévisage…

En la femme courbée que « Satan avait liée » (v.16), Jésus voit « une fille d’Abraham » qu’il faut délier ! Contre le Prince du mensonge, homicide depuis l’origine, Jésus renouvelle l’interdiction du sacrifice : « une fille d’Abraham » n’est pas faite pour être sacrifiée, mais pour vivre ! (Gn 22, 1-14). Les hommes fiers d’être fils d’Abraham n’avaient jamais prononcé cette expression, « fille d’Abraham », que Jésus invente.

Osons alors inviter Jésus à venir prêcher dans notre synagogue intérieure (v.10). Ayons l’audace de cette hospitalité qui dérange la mort et accueille la vie. Alors, enfin le Dieu véridique qui tient ses promesses nous remettra sur le chemin de notre histoire. Alors, nous rentrerons « dans la joie » (v.17) à cause des merveilles que le Christ aspire à réaliser dans notre vie. Ce regard du Christ qui délie et donne la joie, ne le rangeons pas dans un coin, ne le classons pas dans un dossier sur le bord de notre mémoire, mais portons-le au chaud dans un cœur en prière. Alors, nous aussi, nous prêterons nos aux yeux au Christ pour qu’en ce monde, un regard relève ceux qu’on ne voit pas.            

Vincent REIFFSTECK  (vincent.reiffsteck@wanadoo.fr)

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