Méditation : L’heureuse faille de la foi (No 42 – série 2022-2023)

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Évangile du Dimanche 16 octobre 2022 – 29e dimanche du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« L’Esprit Saint vous enseignera à cette heure-là ce qu’il faudra dire » Lc 18, 1-8

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager : « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : “Rends-moi justice contre mon adversaire.” Longtemps il refusa ; puis il se dit : “Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne, comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.” » Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice ! Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Méditation

La logique de ce texte évangélique nous oblige d’inverser l’introduction et la conclusion. L’introduction de Jésus “sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager” ne peut conduire à “le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?”. Au contraire, la conclusion de ne pas trouver de foi sur la terre subviendra si les gens ne prient pas sans cesse sans se décourager. Mais que vient faire cette parabole entre ces deux affirmations du départ et de la fin du texte ?

Cette parabole met en scène deux drôles de personnage et deux étranges descriptifs. Le premier personnage est la veuve mais on ne connaît ni son nom ni pour quel tort elle demande justice. De l’autre, un juge, dont on ne connaît pas non plus le nom, qui est décrit comme une personne “qui ne craint pas Dieu et ne respecte personne” et qui rend justice sans connaître l’injustice commise. Rien de plus flou que cette parabole. Mais ne nous rappelle-t-elle pas quelque chose de nous ? Ne nous dit-elle pas une part du problème que nous avons de croire et qui fait que “le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?”

En chacun.e de nous, il y a une veuve (veuf) dont la plainte existe, nous dit le texte, depuis “longtemps”. Cette plainte est celle de notre enfant blessé qui reste enfermé dans sa plainte de ne pas avoir eu la reconnaissance et l’amour pour découvrir son vrai nom et son propre visage. Cet enfant “innommé” souffre et est encarcané dans une position de victime. Comme il a disparu à cause du mal qu’il a subi, arrive un temps où sa plainte monte mais il n’en connaît plus la cause. Il demande justice, en silence ou avec fracas, mais il ne sait plus quelle justice il demande, car son mal et lui-même sont si enfouis en lui qu’il ne connaît plus ni l’un ni l’autre. Quand il regarde en lui-même, la foi a disparu face à lui-même, face aux autres, face à Dieu et face à la vie.

Quand la foi disparaît, tout s’efface en la personne. Elle devient une veuve mariée à la mort, bien seule et sans ressources intérieures. Elle crie vers les autres, ceux-là même pour qui elle n’a pas existé, en espérant qu’ils sauront la voir enfin. Elle crie sa détresse d’abord à ce juge qu’elle a intériorisé et qui lui rappelle toujours qu’elle est sans valeur et, nous dit le texte, refuse sa plainte. Ainsi en est-il de nous ! Nous avons si bien enregistré le mépris des autres et leurs jugements que nous en devenons même indifférents à nous-mêmes. Plus encore, nous nous créons une dynamique intérieure afin de bien nous assurer de ne jamais entendre ce cri, qui nous rappelle une blessure à laquelle nous ne voulons pas retourner.

Le juge, à l’image de la veuve, est tout aussi sans foi. Il est inique, désabusé, “dépourvu de justice” et complètement désaxé de son être filial profond. Le juge perpétue le sans nom de la victime. Il s’assure, en fait, qu’elle continue à ne pas exister. Puis, nous dit le texte, vient un jour où le cri de la veuve “commence à l’ennuyer”. Il en est ainsi du juge en nous qui devient fatigué de nous juger et de nous anesthésier et de continuellement nous effacer et nous faire disparaître. Combien de personnes se présentent en accompagnement spirituel avec cette fatigue de non-compassion ? Elles ne veulent plus vivre ainsi et désirent découvrir leur nom et la beauté réelle de leur visage. Voilà la petite faille dans une carcasse bien construite au cours des ans qui rend accessible une part intérieure de nous.

C’est de cette faille où surgit notre souffrance mais aussi notre visage que, souvent, la prière retrouve son chemin. L’être intérieur franchit doucement la faille et il prend de plus en plus la place du cri de la victime et parle de lui-même, du lieu même de son identité, à Dieu. Dans ce dialogue et dans cette écoute amoureuse et reconnaissante de Dieu, la foi se découvre en lui comme le bien le plus précieux. “Le Seigneur ajouta : “Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre? Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice.”

“Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?” La réponse de ce texte est oui si nous découvrons “la nécessité de toujours prier sans se décourager”. La prière, dans ce contexte de nos souffrances, est la foi qui, en nous, se redit vers nous-mêmes, vers les autres et vers Dieu, car elle connaît notre vraie visage et notre vraie valeur. Même blessée, elle ne peut se taire et crie vers le juge… maintenons cette faille ouverte en nous. Cette faille de tous les possibles ! Cette faille de l’impossible Divin et humain ! Cette faille, si humble et petite comme la foi, que toutes les carapaces du monde ne s’ouvrent sans même que on le remarque !

Que cette foi, petite comme un grain de sénevé, trouve son chant en nous afin qu’au coeur même de nos combats elle s’élève sans cesse avec courage et donne à la Lumière non seulement d’entrer en nous mais, plus encore, oserais-je dire, de surgir de nous et nous transformer, et glisser vers la faille de l’autre et le transformer !

Cette faille est en nous l’espace où se plante la Croix qui nous sauve !

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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