Évangile du Samedi 15 octobre 2022 – 28e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« L’Esprit Saint vous enseignera à cette heure-là ce qu’il faudra dire » Lc 12, 8-12
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Je vous le dis : Quiconque se sera déclaré pour moi devant les hommes, le Fils de l’homme aussi se déclarera pour lui devant les anges de Dieu. Mais celui qui m’aura renié en face des hommes sera renié à son tour en face des anges de Dieu. Quiconque dira une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné. Quand on vous traduira devant les gens des synagogues, les magistrats et les autorités, ne vous inquiétez pas de la façon dont vous vous défendrez ni de ce que vous direz. Car l’Esprit Saint vous enseignera à cette heure-là ce qu’il faudra dire. »
Méditation
La lecture de cet extrait tout en ombre et lumière souligne, il me semble, le passage du reniement au témoignage. Renier, c’est désavouer, déclarer ne plus croire, ne plus reconnaître contre toute vérité… et ne plus se reconnaître. Renier, ce n’est pas renoncer ni reculer ni retourner, c’est nier deux fois, à nouveau. Renier comme un coup de barre radical non pas pour tenter de garder le cap mais pour s’en éloigner brutalement, voguer sans firmament, fixant le vague. Dans le reniement de la foi, il y a du refus et du mépris de ce qui a été donné, du rabaissement aussi. Dieu ne vaut plus la peine de porter le regard un peu plus loin que la peur d’être jugé, un peu plus haut que les scandales d’un groupe organisé à la soutane contaminée. Dieu n’est plus traversée de l’existence, la mienne comme celle de l’humanité. Dans ce reniement, il y a nécessairement le fait de parler contre Dieu, de nier la beauté de son enfance en soi qui nous émeut, il y a le mépris de soi et de la créature en la création. Il y a le mépris du divin en ce monde.
Il y a aussi du blasphème, car le reniement est la désacralisation de la personne en injuriant le don de Dieu en soi. Renier, parler contre, blasphémer, autant d’agirs ligotant, refusant la vérité de notre identité filiale, autant d’agirs grouillant qui se nourrissent de la peur que suppure la blessure. Selon l’intention et la brutalité de l’agir, il y aura le pardon ou non. Mais seule la miséricorde de Dieu pourra dérouter ce mépris, le laver en eaux profondes, le blanchir à l’amour baptismal et mieux le détacher de l’amour-propre. Saint Augustin disait d’ailleurs que nous portions un amour de nous-mêmes jusqu’au mépris de Dieu qui doit devenir un amour de Dieu jusqu’au mépris de nous-mêmes.
Confession et conversion, c’est le chemin de Pierre. Nous nous rappelons son aplomb, grand, droit, capable, un caractère minéral : « Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas » (Mc 14.31). Sincère sans aucun doute, il alla jusqu’à trancher le bout de l’oreille du serviteur du grand prêtre lors de l’arrestation de Jésus au jardin des oliviers (Jn18.10). Mais c’était sans avoir entamé le chemin vers son identité profonde, sans avoir goûté l’amertume de sa blessure, effleuré la béance accueillante, pardonné la faiblesse saturée des jugements d’autrui portés sur lui. Son propre mépris. Trois fois, il dira ne pas être un disciple de son Maître, se réchauffant même avec les serviteurs et les gardes, re-re-niant avoir été vu dans le jardin avec Jésus (Mc 14.54, 66-72; Jn 18.17, 25-27). Lors de la crucifixion, Pierre et les autres iront se terrer dans une demeure, les portes verrouillées, peur des Juifs, peur des Romains, peur d’être jugés. Puis revenu près du Lac, le pêcheur sera relevé, trois fois, par la question miséricordieuse du Christ : Pierre, m’aimes-tu ? (Jn 21.15-17). Là, il ira enfin cueillir sa fidélité, celle qu’il souhaitait tant incarner, au sein de sa pleine pauvreté, au cœur de l’amour-propre évidé. Passer trois fois par je ne le connais pas au tu sais combien je t’aime, est un chemin repris, retraversé, reconnu vers l’identité filiale en tant que pêcheur méprisé, en tant que pécheur accueilli comme fils.
C’est parce qu’il revêt désormais la cape de la miséricorde de Dieu, du bleu scintillant de vérité, qu’il pourra témoigner de sa personne, accompagner autrui, devenir pasteur. De la faillite à la miséricorde, de la blessure à la mission, de la cave au toit, du pécheur au pasteur, Pierre passe de l’ombre à la lumière. Il nous indique que la filiation divine à laquelle nous sommes appelés ne se fonde pas sur le mérite ou la quête de perfection mais bien sur la reconnaissance de la miséricorde agissante en notre vie qui pousse à l’obéissance aimante en Sa volonté. C’est ainsi qu’il laissera, confiant, un autre attacher sa ceinture, le mener là où il ne voudra pas et mourir à la vie pour enfin vivre le Christ bien-aimé.
À la lumière de la trajectoire de Pierre, le reniement met à nu les racines de la peur, celle d’être jugé, la même qui a constitué l’enfant blessé, la même qui livre l’enfance aux regards sans vie de l’autre, lui accordant une importance démesurée par emprise ou par protection. Seule, l’expérience du Christ délivre durablement de la peur, celle des disciples enfermés dans une désespérance, celle de la femme adultère enfermée dans les regards inertes. Parce que la miséricorde dévisage, elle est éprouvée comme dépouillement et approfondissement. Parce que la miséricorde envisage, elle est communion et envoi. Parce que la miséricorde est puissance d’amour pur, visage de Dieu; elle peut faire changer d’idée les anges.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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