Évangile du mardi 19 octobre (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller » Lc 12, 35-38
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. S’il revient vers minuit ou vers trois heures du matin et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! »
Méditation
« Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. » Quelle est belle cette invitation de Jésus ce matin ! Dans ces quelques mots à ses disciples, ne pourrait-on pas lire en filigrane l’essentiel de l’appel de l’Évangile pour chacune de nos vies ? « Tenue de service, lampes allumées », des mots qui dépeignent si simplement le cœur du « veilleur », de celui qui « attend le retour de son maître pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte ».
Jésus ne nous dit pas : « prends de temps en temps ta tenue de service » – entendu comme « quand c’est ton tour de faire un service » – mais « reste en tenue de service ». Le disciple de l’Évangile, c’est celui qui apprend peu à peu, de mieux en mieux, que sa vie à la suite de Jésus, sa vie de fils de Dieu, est une vie “en tenue de service”. Le service, le don de soi, deviennent peu à peu sa demeure, le lieu de sa liberté !
Dans l’Évangile d’aujourd’hui Jésus ne nous parle évidemment pas de nos vêtements ni même de ce que nous “faisons” ! Non, Il nous parle d’une attitude intérieure, celle du cœur – je dirais, de l’âme – avec laquelle vivre tout ce que nous faisons tout au long de notre journée. En méditant la Parole de Jésus de ce jour, me sont revenues à la mémoire les expressions si transparentes de St François – l’écho d’un “autre Christ” – dans un dialogue[1] qu’il a avec frère Rufin, qui revenait d’une profonde crise intérieure. Fr. Rufin qui avait désiré devenir un humble frère mineur, lui avouait combien, au fond de lui-même, il avait été mené par une mentalité non évangélique. Il faisait tout service fraternel par devoir, espérant s’en libérer le plus vite possible pour redevenir “son propre maître”. C’est alors que François lui dit : « Tu sais maintenant ce qu’est un frère mineur, un pauvre selon l’Évangile : ce n’est pas seulement s’obliger à faire ce que fait le dernier, l’esclave, c’est le faire avec l’âme et l’esprit du Seigneur. Cela change tout. Là où est l’esprit du Seigneur, le cœur n’est pas amer. Il n’y a pas de place pour le ressentiment. »
St Paul lui aussi nous le rappelle : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! » (Rm 8,15). Nous pouvons vivre cette journée en serviteur heureux, heureux parce qu’il n’est pas mené par une âme d’esclave, mais par l’esprit le plus noble qui soit, celui du Seigneur. Cet Esprit, nous l’avons reçu ! Il nous habite et gémit du plus profond de notre cœur pour que nous le laissions libre en nous ! Voilà la béatitude qui se cache dans l’Évangile d’aujourd’hui : « Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. »
Dans notre quotidien, l’Esprit n’attend de nous qu’une seule chose : la capacité de « lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte ». Et c’est en même temps lui seul qui peut nous maintenir dans cette attitude profonde du cœur d’être “en veille”, en attente de sa visite et capable de la reconnaître. Je trouve si déchirante cette parole de Jésus dans le même Évangile de St Luc : « [tu seras détruite, Jérusalem] parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée. » (19,44 – lamentation sur Jérusalem). Et le prophète Sophonie exprime lui aussi toute la sensibilité du cœur de Dieu qui, face à l’homme (humain), ne peut qu’espérer : « à ses yeux ne peuvent s’effacer tant de venues dont je l’ai visité. »
Esprit Saint, en ce nouveau jour, viens m’aider à maintenir ma lampe allumée. Tout au long des heures de ma journée – « ces morceaux d’amour » comme disait Madeleine Delbrêl – tiens allumée ma lampe de veilleur pour que je puisse reconnaître l’humble visite de Dieu. Puisse mon cœur demeurer en éveil dans chaque rencontre, dans ce que j’aurai à faire et dans les imprévus qui certainement se présenteront, “en éveil” pour le reconnaître et le servir.
Rappelle-moi, rappelle-nous, que « nous ne sommes jamais de lamentables laissés-pour-compte, mais de bienheureux appelés, appelés à savoir ce qu’il vous plaît de faire, appelés à savoir ce que vous attendez à chaque instant de nous : des gens qui vous sont un peu nécessaires, des gens dont les gestes vous manqueraient si nous refusions de les faire. »[2]
Aujourd’hui, 19 octobre, l’Église célèbre la mémoire de plusieurs saints (dont certains du Canada) : St Jean de Brébeuf et St Isaac Jogues et leurs compagnons martyrs, St Paul de la Croix, et aussi St Jerzy Popiełuszko, ce jeune prêtre polonais assassiné le 19 octobre 1984. Tous ont été ces serviteurs, ces bienheureux appelés, que le Seigneur à son arrivée trouva en train de veiller dans l’amour, dans la lutte pour la justice. Et Il les fit prendre place à sa table pour toujours.
« Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. S’il revient vers minuit ou vers trois heures du matin et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! »
Laurence Vasseur
[1] Relaté par Eloi Leclerc, dans son petit livre Sagesse d’un pauvre, Chapitre 8 Si nous savions adorer.
[2] Madeleine Delbrêl, La joie de croire, L’extase de vos volontés.
Extrait du livre d’Eloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, Éditions franciscaines, 1959, Chapitre 8, Si nous savions adorer
- [Fr. Rufin] Quand je suis venu te demander de m’admettre au nombre des frères, j’étais poussé par le désir de vivre selon le saint Évangile. J’étais alors très sincère. […] Mais au fond de moi-même, j’étais mené sans le savoir par une mentalité qui n’était pas évangélique. Tu sais dans quel milieu j’ai grandi. […] En adoptant ton genre de vie extrêmement humble et pauvre, je pensais avoir renoncé pour de bon à ces valeurs, je croyais vraiment m’être perdu pour le Seigneur.
C’était vrai. Mais à la surface seulement. […] Mais au plus profond de moi-même, sans m’en rendre compte, je conservais une grosse part de mon âme, la plus importante. Je gardais ma vieille mentalité. […] Je faisais tout par devoir. Je croyais que c’était cela, la vie religieuse. Mais ce n’était qu’un habit mal taillé dans lequel je m’efforçais d’entrer, sans pouvoir y demeurer. Dès que je le pouvais, je m’en libérais. Ma vie, ma vraie vie, était ailleurs. Elle était là où je me retrouvais moi-même. […] Là, je me sentais de nouveau mon maître et je revivais.
Mais on s’use à ce régime. C’est fou comme on peut se tendre. Tout ce que je faisais par devoir, je le faisais sans cœur, comme un forçat qui traîne son boulet. […] Puis, ici même, ce fut la crise que tu connais.
- [St François] Tout ce que tu me dis là ne m’étonne pas, lui dit alors doucement François. […] Tu sais maintenant ce qu’est un frère mineur, un pauvre selon l’Évangile : un homme qui, librement, a renoncé à exercer tout pouvoir, toute espèce de domination sur les autres, et qui cependant n’est pas mené par une âme d’esclave, mais par l’esprit le plus noble qui soit, celui du Seigneur. Cette voie est difficile. Peu la trouvent. C’est une grâce, une très grande grâce que le Seigneur t’a faite.
Il n’y a pas, vois-tu, que les maîtres de ce monde à être conduits par la volonté de puissance et de domination. Les serviteurs le sont aussi qui n’acceptent pas librement leur condition de serviteurs. […] Être pauvre, selon l’Évangile, ce n’est pas seulement s’obliger à faire ce que fait le dernier, l’esclave, c’est le faire avec l’âme et l’esprit du Seigneur. Cela change tout. Là où est l’esprit du Seigneur, le cœur n’est pas amer. Il n’y a pas de place pour le ressentiment.
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