Évangile du Samedi 30 avril 2022 – 2e semaine de Pâques (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Il en distribua aux convives, autant qu’ils en voulaient » Jn 6, 16-21
Le soir venu, les disciples de Jésus descendirent jusqu’à la mer. Ils s’embarquèrent pour gagner Capharnaüm, sur l’autre rive. C’était déjà les ténèbres, et Jésus n’avait pas encore rejoint les disciples. Un grand vent soufflait, et la mer était agitée. Les disciples avaient ramé sur une distance de vingt-cinq ou trente stades (c’est-à-dire environ cinq mille mètres), lorsqu’ils virent Jésus qui marchait sur la mer et se rapprochait de la barque. Alors, ils furent saisis de peur. Mais il leur dit : « C’est moi. N’ayez plus peur. » Les disciples voulaient le prendre dans la barque ; aussitôt, la barque toucha terre là où ils se rendaient.
Méditation
Sur ce chemin de Résurrection sur lequel nous marchons, un sujet rarement abordé nous est présenté aujourd’hui par l’Évangile, la peur de Dieu : “Alors, ils furent saisis de peur. Mais il leur dit : « C’est moi. N’ayez plus peur. »”. Cet élément semble un obstacle réel sur notre chemin, tout autant qu’une opportunité.
Nous savons que cette peur a pris racine en nous dès l’origine à cause du mal, à cause du choix que nous avons fait et que nous continuons à faire de devenir comme des dieux. Le récit de la Genèse nous décrit d’ailleurs que, à la suite du péché, l’intimité que l’homme et la femme vivaient avec Dieu a été marquée par la peur. Là, dans le jardin intime de l’être, Dieu est apparu comme un étranger et une menace : “l’homme et sa femme se cachèrent devant Yahvé Dieu parmi les arbres du jardin” (Gn 3, 8). Dieu les cherche, car Il ne les voit plus. “Où es-tu?” (Gn 3, 9) , leur demande-t-il. L’homme et la femme ne sont plus visibles pour Dieu, car ils sont sortis du champ de l’être. Ils ne sont plus eux-mêmes, ils ne sont plus fils et fille de Dieu, sinon la vague silhouette d’un “être comme dieu”.
À la question de Dieu, leur réponse est vraiment troublante : “J’ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l’homme; j’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché” (Gn 3, 10). La réaction des disciples aujourd’hui nous montre cette même peur mais, cette fois, non à cause d’un Dieu qui marchait en son jardin mais à cause d’un Dieu “qui marchait sur la mer et se rapprochait de la barque”.
Ce texte d’aujourd’hui nous présente donc, sur notre chemin de Résurrection, une sorte d’obligation de conversion face à notre peur de Dieu, car elle nous tient à distance de Dieu. Elle nous le fait craindre. Mais comment cela se fera-t-il ? La clef est dans cette réponse de Jésus : « C’est moi. N’ayez plus peur » ou, dans la traduction de Chouraqui, « Moi, je suis, ne frémissez pas. »
Avec la première traduction, ce que le texte nous suggère est que le mal en nous nous empêche de reconnaître Dieu. Sa Présence étrangère dans nos vies, à cause du mal qui nous habite, nous fait peur et nous tient à distance. Nous préférons, comme Adam et Ève, nous cacher “parmi les arbres du jardin”, c’est-à-dire nous enfouir dans la concrétude du monde et de ses plaisirs. Cette concrétude nous rassure, car nous pouvons la maîtriser. Au contraire, la Présence de Dieu qui nous habite, qui surgit au coeur de tout, nous dépasse, nous déborde et a donc la qualité de toute ce qui nous inquiète. Nous avons donc à apprivoiser dans nos vies cette Présence et, nous suggère le texte, cela ne nous est pas spontané. Mais, ce qui doit nous encourager, c’est que, dès que nous l’accueillons, notre vie “accoste” en Lui et se trouve enfin à bon port : “Les disciples voulaient le prendre dans la barque ; aussitôt, la barque toucha terre là où ils se rendaient”.
C’est ce que suggère, avec force, la traduction du texte de Chouraqui : « Moi, je suis, ne frémissez pas. » “Je suis”, ces paroles ne sont-elles pas dans la bouche de Jésus comme un refrain ?! “Je suis” nous suggère donc que nous sommes appelés en ce chemin de Résurrection à retrouver en nous le chemin de l’être, de notre “je suis dans le Je suis” de Dieu, en laissant, par la Résurrection, Dieu naître en nous et nous naître en Dieu. “L’être comme un dieu” du serpent est, en fait, la négation même de notre être et, plus spécialement, de notre humanité.
Quand Dieu parle à l’humain, qu’il établit une relation avec l’humain et lui parle en JE, c’est pour susciter en lui son propre JE, pour le faire naître à l’être unique qu’il est. La volonté de Dieu sur nous a toujours été que nous devenions nous-mêmes, chacun.e un don de Dieu unique pour le monde. Comme l’écrivait Marie Balmary. “le don du JE divin, c’est la présence mutuelle” (La Divine Origine, Éd Grasset, 1993, p. 66). Mais l’intervention du serpent, donc du mal, est l’invitation à consentir à l’abolition de notre JE, et donc de notre identité unique, au profit d’un mensonge qui nous pousse à “être comme” mais jamais nous-mêmes.
La Résurrection est donc l’apprentissage de notre vrai JE et, conséquemment, de naître en notre identité unique, et non de consentir à se laisser dissoudre. Tant que nous n’existerons pas dans notre identité unique, nous aurons peur et cette peur naîtra parce que nous ne partageons plus la vie de Dieu qui embrasse toute la création et tout être humain. Non seulement nous ne la reconnaissons plus, cette vie, en nous et en les autres, mais elle nous menace. Tout nous apparaît étranger, même Dieu, car nous ne vivons plus toutes et tous en communion en Dieu. C’est comme si l’humain, plongé dans le mal, vivait sur une terre étrangère où tout le menace. Et le premier lieu de la menace est que l’humain est devenu étranger à lui-même.
Si nous acceptons, comme les disciples, d’accueillir à nouveau Dieu dans notre barque, nous retrouverons la terre du “Je suis”, la terre où Dieu se tient en la plénitude de son Être et où Il nous attend. Nous retrouverons “aussitôt” la terre sacrée de notre être où aucune peur n’existe, car nous serons tous unis dans la Vie de Dieu. Ce chemin de Résurrection, à travers le texte d’aujourd’hui, nous suggère donc différentes opportunités de Vie : oser accueillir à nouveau Dieu dans nos vies, refuser d’ “être comme un dieu” en suivant le mensonge du mal qui nous abolit, apprendre au contraire dans une relation mutuelle à dire JE et à découvrir nos P(p)résences mutuelles, retrouver en nous notre parole, celle de notre être unique et celle du Dieu unique. En somme, reprendre le chemin de l’Amour, car l’Amour n’est jamais abolition ou destruction de nous-mêmes mais bien l’échange mutuel de ce qu’il y a de plus précieux en chacun.e, nous-mêmes.
« C’est moi. N’ayez plus peur. » C’EST MOI-MÊME (je me reconnais enfin), je n’ai plus peur.
Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)
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