Méditation : Tel Fils révélateur tels fils révélés (No 20 – série 2022-2023)

Image par Pete Linforth de Pixabay

Évangile du Samedi 24 septembre 2022 – 25e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. Les disciples avaient peur de l’interroger sur cette parole » Lc 9, 43b-45

En ce temps-là, comme tout le monde était dans l’admiration devant tout ce qu’il faisait, Jésus dit à ses disciples : « Ouvrez bien vos oreilles à ce que je vous dis maintenant : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. » Mais les disciples ne comprenaient pas cette parole, elle leur était voilée, si bien qu’ils n’en percevaient pas le sens, et ils avaient peur de l’interroger sur cette parole.

Méditation

En deux expressions et une phrase, Jésus annonce non seulement son chemin pascal mais nous livre une grande réflexion théologique sur la révélation, à la fois glaiseuse et divine, de notre identité profonde. C’est sans prétention que nous allons méditer ensemble sur ce qu’évoquent la désignation de « Fils de l’homme » et la locution verbale « être livré ». Si mon ancien directeur de thèse me rappelait que faire théologie était à la portée de tous et toutes, Jésus nous rappelle qu’être fils et filles de Dieu l’est encore plus.

Dans les quatre Évangiles, l’expression magnifiquement ambiguë « Fils de l’homme » est à l’origine de débats passionnés pour ne pas dire furieux entre théologiens qui ne sont pas, en général, des gens très apaisés. Puisque c’est Jésus qui se désigne lui-même ainsi, pas moins de 69 fois, et que cette expression ne sera pas reprise par les premières communautés chrétiennes après sa mort-résurrection, sauf par le premier martyr, saint Étienne, l’examen des titres de Jésus Christ – la christologie – devient ici un exercice embêtant. Dans l’Ancien Testament, nous retrouvons l’expression dans les Psaumes (8.4-6; 80.17) et à partir d’une vision tirée du livre de Daniel (7.13-14). L’expression est imprégnée d’humanité, du rabaissement à l’ascension, elle souligne la puissance de Dieu en Celui qui vient et qui, dans la prophétie de Daniel, ressemblera à un homme.

Au coeur de ce titre que Jésus s’accorde, il y reconnaît le Dieu Créateur et le Dieu Révélateur, il les entremêle, les emboîte pour faire jaillir une espérance dans un renouvellement de l’ordre créationnel bon. Contrairement aux apocalypticiens pessimistes de son temps et du nôtre, « ce Fils d’Homme n’est pas un ange ou un archange qui viendrait sauver un monde radicalement mauvais : il est aussi un représentant de l’humanité, un homme parfait… » (Rastoin 2017). Ce sera aussi ce Fils d’homme, le fils daniélique, qui recevra la révélation. Ce n’est pas tant sa nature duelle d’homme et de Dieu qui le rend Fils, c’est la révélation qui lui est faite d’être un médiateur divin. Fils révélateur donc, Jésus nous enseigne que nous sommes, sans exception, des fils et des filles de Dieu, son père, et que le Notre Père commence bien par un « nôtre ».

Rencontre de la Création et de la Révélation en sa personne, Jésus nous fait entrer dans une identité nouvelle, née du Très-Bas et d’en haut mais révélée comme filiation. Le théologien Marc Rastoin serait sans doute à l’aise au Pèlerin quand il affirme, et je cite : « Cette vision articule de façon originale une théologie de la création et une théologie de la révélation. Selon la première, l’homme est perçu comme étant fondamentalement fils de Dieu, créé à son image. Marqué par différentes aliénations, l’être humain est néanmoins capable de pardon et de miséricorde à la façon de Dieu. Selon la seconde, l’être humain est destiné à connaître son identité filiale essentielle grâce au Fils par excellence, le Fils de l’Homme, qui sera juge de la fin des temps, le Fils de l’Homme qui est dans le sein du Père. La mission du Fils est de communiquer aux fils qu’ils sont bien des fils ».

Dans cette révélation entre fils, annonce est faite qu’il sera livré aux mains d’autres fils. Le verbe grec utilisé, paradidômi, a le sens premier de « transmettre » en remettant de main à main, autant pour une succession que pour un condamné à mort. Il possède aussi le sens de « concéder » et de « confier » (Bailly, 2020). Un verbe toujours animé d’une volonté qui, étonnement, prendra racine dans le verbe « libérer » lors de son passage en latin. De liberare, la traduction latine « être livré » a sans doute voisiné les sens de « rendre libre, laisser partir, remettre ». Il y a là, sémantiquement, un parcours du sacrifice à l’adoption. Lorsque j’ai adopté mes deux garçons, grand soin était porté au vocabulaire : l’enfant n’était pas abandonné mais bien confié. Riche nuance lorsque le bébé nous est livré, remis dans nos bras, lorsque sa toute fragilité nous est confiée. Il en va de même pour Jésus qui fut livré, abandonné, remis aux mains des hommes, nos semblables, pour être sacrifié. Mais Jésus n’a pas joué le jeu sacrificiel, il est venu y mettre fin pour que nous soyons comme mes garçons. Non plus livrés, abandonnés mais confiés comme fils et filles de Dieu. Une filiation adoptive révélée par le Christ. Une liberté libérée au coeur de mon identité, maintenant dévoilée, comme étant à l’image de Dieu. Et puis, ça ne saurait être plus vrai, on me dit sans arrêt jusqu’à quel point mes enfants ressemblent à leurs parents…adoptants.

Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)

Rastoin, M. (2017). Jésus : Un « Fils de l’Homme » tourné vers les « Fils de Dieu ». Un nouveau regard sur Mt 11,27 et Lc 10,22. New Testament Studies, 63(3), 355-369. doi:10.1017/S002868851700008X

Bailly, A. (2020). Dictionnaire Grec-Français, éd. Hugo Chavez [En ligne]. Url :  https://bailly.app/paradid%C3%B4mi (Page visitée le 11 septembre)

DROIT D’AUTEUR

La méditation peut être partagée à toutes et à tous, en tout ou en partie, mais le nom de l’auteur et l’indication du centre le Pèlerin avec l’adresse du site (www.lepelerin.org) doivent être inscrits, car les droits d’auteur demeurent. Merci de votre compréhension.