Méditation : Coeur à coeur (No 184)

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Évangile du Mardi 12 avril 2022 – Mardi de la semaine sainte (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« L’un de vous me livrera… Le coq ne chantera pas avant que tu m’aies renié trois fois » Jn 13, 21 – 33, 36-38

En ce temps-là, au cours du repas que Jésus prenait avec ses disciples, il fut bouleversé en son esprit, et il rendit ce témoignage : « Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera. » Les disciples se regardaient les uns les autres avec embarras, ne sachant pas de qui Jésus parlait. Il y avait à table, appuyé contre Jésus, l’un de ses disciples, celui que Jésus aimait. Simon-Pierre lui fait signe de demander à Jésus de qui il veut parler. Le disciple se penche donc sur la poitrine de Jésus et lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? » Jésus lui répond : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper dans le plat. » Il trempe la bouchée, et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote. Et, quand Judas eut pris la bouchée, Satan entra en lui. Jésus lui dit alors : « Ce que tu fais, fais-le vite. » Mais aucun des convives ne comprit pourquoi il lui avait dit cela. Comme Judas tenait la bourse commune, certains pensèrent que Jésus voulait lui dire d’acheter ce qu’il fallait pour la fête, ou de donner quelque chose aux pauvres. Judas prit donc la bouchée, et sortit aussitôt. Or il faisait nuit.
Quand il fut sorti, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Vous me chercherez, et, comme je l’ai dit aux Juifs : “Là où je vais, vous ne pouvez pas aller”, je vous le dis maintenant à vous aussi. » Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, où vas-tu ? » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; tu me suivras plus tard. » Pierre lui dit : « Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour toi ! » Jésus réplique : « Tu donneras ta vie pour moi ? Amen, amen, je te le dis : le coq ne chantera pas avant que tu m’aies renié trois fois. »

Méditation

L’Évangile de la trahison et du don, tel pourrait être le titre du texte d’aujourd’hui. Au centre, il y a Judas ou l’humain qui trahit, mais, plus encore, il y a la Présence de ce Dieu qui sauve en se donnant. Pour comprendre la trahison de Judas, nous devons nous référer d’abord à l’épisode du lavement des pieds au coeur du mystère eucharistique qui se déploie devant nous.

Ce sont les premiers mots du chapitre 13 de l’Évangile de Jean qui donne le cadre pour saisir ce qui se passe : “Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin” (Jn 13, 1). L’heure de Jésus est venue, l’heure du suprême don de l’Amour. Le moment est non seulement solennel mais il livre le Coeur de Dieu. C’est à la suite de cette introduction que Jésus se lève pour laver les pieds de ses disciples et où il est dit : “Au cours d’un repas, alors que déjà le diable avait mis au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer, sachant que le Père lui avait tout remis entre les mains et qu’il était venu de Dieu et qu’il s’en allait vers Dieu” (Jn 13, 2-3).

Dans la mouvance de ce mouvement d’Amour où le Fils qui est sorti du Père retourne au Père, Judas trahit, car il laisse le diable entrer dans son coeur. Au centre de cette scène où Jésus se livre sans mesure dans cette eucharistie, le coeur de Judas ne peut recevoir le don d’Amour du Père par le Fils dans l’Esprit. Son coeur a perdu sa pureté : “Il connaissait en effet celui qui le livrait ; voilà pourquoi il dit : “Vous n’êtes pas tous purs.”” (Jn 13, 11) Judas est ainsi incapable de saisir et d’être saisi par cette eucharistie et ce lavement des pieds, qui sont deux expressions de la mise en don du Fils par Amour.

Jésus, avec l’Évangile d’aujourd’hui, nous met en face de cette trahison : « Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera. » Le disciple qui trahit n’est pas nommé, peut-être est-ce que, en trahissant, il trahit la source de tout nom, le Fils qui est le Nom au-dessus de tout nom, perdant, du coup, sa propre identité ? Ou est-ce que nous sommes tous coupables ? “Les disciples se regardaient les uns les autres avec embarras, ne sachant pas de qui Jésus parlait”.

Dans toutes les eucharisties ou dans tous les lavements des pieds du monde, ce service eucharistique d’amour partagé (“vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres” Jn 13, 14), nous devons toujours les vivre dans l’humilité et la contrition de nos trahisons mais, surtout, comme un “disciple (qui) se penche (…) sur la poitrine de Jésus”. Aucune eucharistie, aucun ministère dans l’Église ou aucune parole ou geste ne peuvent se vivre s’ils ne surgissent pour nous de l’Amour du Coeur de Dieu.

Ceci nous montre l’extraordinaire mais tout aussi terrible liberté que nous avons de choisir entre accueillir le diable ou le Fils, à laisser entrer en nous la mort ou la Vie. Le fait que Jésus “trempe la bouchée” dans l’Amour de son Coeur et “la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote” nous rappelle le terrible choix que nous avons et qui se vit dans le quotidien de nos vies : mettre à mort le Fils à cause de l’impureté de notre coeur ou accepter avec humilité l’Amour du Coeur de Dieu, “pain de Vie” offert pour notre transformation. Notre coeur refuse-t-il de croire à ce don et choisit que “Satan entre en (lui)”, ou notre coeur agenouillé se laisse être la terre d’accueil du Dieu Vivant ?

Si nous osons dire notre pauvre oui, Jésus révèle alors son Amour pour chacun.e de nous : “Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.” Comme nous le voyons, Jésus n’a pas refusé son eucharistie ou son don d’Amour à Judas en lui tendant la bouchée, car Il est venu pour les pécheurs. Il est venu sauver Judas ou cette part de Judas en chacun.e de nous. Il a embrassé ainsi de son Amour toute personne humaine et nous a laissés libres d’accueillir la gloire qu’Il a reçue du Père, à savoir son Amour infini.

Cette glorification en nous ne peut être un geste d’orgueil, « Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour toi ! », car “Là où je vais, vous ne pouvez pas aller”. L’oeuvre que Jésus est sur le point d’accomplir, Il est le seul à pouvoir l’accomplir en nous, à savoir de descendre au creux du mal et de la mort en nous pour nous appeler à la Vie et pour nous donner d’entendre la Parole qui recrée tout et nous donne de naître par, avec et en Lui. C’est cette expérience de salut dans nos vies que nous sommes chacun.e appelés à vivre et ce salut est un don gratuit de l’Amour trinitaire. Pour le recevoir, Dieu demande une seule condition, que nous déposions notre tête sur son Coeur afin que son Amour dissipe en nous le mal qui nous empêche de le recevoir. Ces paroles deviendront alors vraies pour nous : « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; tu me suivras plus tard. »

Par sa grâce, Il nous aidera à vaincre le diable qui est entré dans notre coeur et qui nous empêche de recevoir tout l’héritage d’Amour que Dieu a voulu pour nous de toute éternité. En ce Mardi saint, posons notre tête sur le Coeur de Dieu pour entendre les battements d’Amour de ce Coeur pour nous ! Vivons cette semaine dans un Coeur à coeur où nous laissons le Fils saisir en nous tout le mal qui nous habite (acceptons de le suivre là) afin de nous en libérer et de nous donner le courage de refuser son emprise sur nous !

Stéfan Thériault (stheraiult@lepelerin.org)

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