Évangile du Jeudi 22 septembre 2022 – 25e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Jean, je l’ai fait décapiter. Mais qui est cet homme dont j’entends dire de telles choses ? » Lc 9, 7-9
En ce temps-là, Hérode, qui était au pouvoir en Galilée, entendit parler de tout ce qui se passait et il ne savait que penser. En effet, certains disaient que Jean le Baptiste était ressuscité d’entre les morts. D’autres disaient : « C’est le prophète Élie qui est apparu. » D’autres encore : « C’est un prophète d’autrefois qui est ressuscité. » Quant à Hérode, il disait : « Jean, je l’ai fait décapiter. Mais qui est cet homme dont j’entends dire de telles choses ? » Et il cherchait à le voir.
Méditation
À la première lecture, cette Évangile m’est apparue vide et déprimante. Plus encore, troublante, car elle nous place devant la pauvreté humaine et le mal qui nous habite. Mais le mal, dans sa tentative de détruire ce qu’il y a de plus grand en l’humain, nous indique ce que nous devons préserver.
Le début du texte nous décrit l’état d’Hérode, selon la traduction de la Bible de Jérusalem, comme celle d’un homme “fort perplexe”. Étrange attitude, presque vide d’émotions, pour un homme qui a fait décapiter Jean et qui, il n’y a pas si longtemps, à l’annonce de la naissance de ce même Jésus, a fait “mettre à mort (…) tous les enfants de moins de deux ans” (Mt 2, 16). Sa perplexité insignifiante et indifférente me semble venir d’abord du meurtre en lui de l’enfance.
Je crois sincèrement que la première cible du mal est de tuer l’enfance en nous, car l’enfant, comme l’a présenté Jésus, est la clef pour entrer dans le Royaume : ” En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux” (Mt 18, 3). Chez toutes les personnes qui viennent en accompagnement, la blessure que tous traînent, et que nous traînons, est celle de l’enfance. Et, dans tous les cas, la conséquence de cette blessure est de remiser bien profondément en nous-mêmes cette enfance, comme si cette enfance et ce qu’elle disait de nous étaient devenus suspects.
Nous grandissons alors en mettant à distance l’enfance, et devenus adultes nous avons appris à remiser tout ce qui lui appartient, spécialement l’émerveillement, la joie spontanée de vivre, la facilité à tendre les bras, le goût savouré de l’Amour, etc. Comme Hérode, nous en arrivons à regarder dans un état de perplexité notre vie. Nous la numérisons du regard comme une image, sans plus saisir le mystère qu’elle porte. L’enfant en nous, mis en au rancart, n’a plus la grâce de puiser, sans convoitise et sans retenue, dans le surgissement de cette Vie qui déborde de tout être et de toute chose. L’enfant en nous n’a plus la joie de goûter la Présence de Celui qui habite tout et de danser la Vie avec Lui.
Le mal a ainsi réussi sa tâche : tuer l’enfance en nous et enfermer l’enfant que nous sommes à double tour. Et le plus fou en cet emprisonnement commandé par le mal en nous est que c’est l’adulte même que nous sommes devenus qui veille à ce qu’il reste bien enfermé. On investit toute notre énergie jusqu’à nous rendre malade afin de nous assurer que l’enfance nous reste bien cachée. Nous pouvons alors affirmer comme Hérode : “Jean, je l’ai fait décapiter.”
Quelle tristesse de savoir que la puissance de conversion ou la voix qui crie dans notre désert intérieur et dans celui du monde, cette voix de l’enfance, nous lui avons coupé la tête. Mais seule l’enfance en nous porte, de par grâce de Dieu, cette puissance infinie de conversion qui repose sur cette qualité de l’enfance d’accueillir, à chaque instant, la Vie dans sa nouveauté, dans son surgissement d’Amour, dans son débordement de joie donné par Dieu en pure gratuité.
Comme une mémoire presque complètement oubliée, car couverte de la superficialité d’un monde sans Dieu, il ne reste souvent qu’en bien de nos contemporains, que ce vague questionnement : “Mais qui est cet homme dont j’entends dire de telles choses ?” Mais, oh merveille !, l’enfance ne peut mourir complètement en nous, car notre être est façonné d’enfance. Si bien que, sans comprendre, Hérode “cherchait à le voir”.
Même s’il a mis toute son énergie pour décapiter, en lui et dans les autres, l’enfance, une part en lui entend encore, bien qu’étouffés, les pas de danse de l’enfance et les harmonies du chant de la Vie. Cette part en Lui reste fascinée. Si nous pouvions accompagner Hérode, nous écouterions avec lui ce coeur “cherchant” et “voyant” afin de l’ouvrir à nouveau à la joie de l’imprévu, de l’innommable et de l’indicible. Et la réponse ne sera pas un vague concept à saisir mais e sera les retrouvailles avec un Vieil Ami, qui toujours danse en Lui et attend son partenaire.
La seule manière de sortir de la haine contre l’enfance et de toutes nos perplexités désabusées d’adultes, avec ses pouvoirs, ses méchancetés et ses guillotines, est simplement d’ouvrir en nous la prison où nous avons laissé notre enfant. Si, comme dit l’expression, remonter sur une bicyclette ne se perd pas, il en est de même de l’enfance. Jamais l’enfant en nous ne perd son besoin et son désir de chevaucher la Vie !
Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)
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