Méditation quotidienne du lundi 6 mars : Le pan de mon vêtement (No 169 – série 2022 – 2023)

Image par Sasin Tipchai de Pixabay

Évangile du Lundi 6 mars 2023 – 2e semaine de Carême (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Pardonnez, et vous serez pardonnés » Lc 6, 36-38

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »

Méditation

Dans l’atelier des charpentiers de Nazareth, « Joseph père et fils », les impayés étaient une plaie comme pour de nombreux artisans d’aujourd’hui. Joseph et son apprenti Jésus travaillaient peut-être pour des habitants de Séphoris, la ville romaine voisine. On imagine Marie interrompant la préparation du pain de Sabbat pour signaler à Joseph qu’un riche Romain n’avait pas réglé les meubles déjà livrés. Dans ces conditions, comment payer la farine et l’huile dont la maisonnée a besoin ! Conformément aux prophètes d’Israël entendus à la synagogue, Joseph devait réclamer fermement le paiement des travaux exécutés. L’oracle du prophète Jérémie condamnait celui qui « fait travailler les autres pour rien, sans leur donner de salaire ». (Jr 22,13). Jésus a reçu de Joseph ce solide exemple d’un homme fort « défendant activement le droit dans la vie sociale » (Jr 7,5).

Un ouvrier a droit à son salaire. Selon l’usage antique, les ouvriers agricoles relevaient le pan de leur tunique pour recueillir le blé qui servait de paiement. Près du ventre et près du cœur, ce repli du vêtement dessine un creux qui reçoit le salaire de notre agir. Qu’y a-t-il dans le pan de mon vêtement ? Le prophète Jérémie hurle contre les injustes : « Le sang des pauvres, des innocents, se trouvent jusque sur les pans de tes vêtements. » (Jr 2,34). « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés » n’enseigne donc pas la soumission des plus faibles au caprice des riches. L’intérêt de cet enseignement est ailleurs.  

Joseph enseigna à Jésus la solidité de Dieu. On n’imagine guère Joseph sombrer dans l’aigreur. L’injustice du monde nous jette dans une guerre dont la violence passe par notre cœur… Dans le tumulte et les cris, on cherche à se sauver par soi-même, comme on peut. Pourtant, Joseph n’entretenait pas son cœur dans le souci. Il n’a pas dit à Jésus : « Dans la vie, il y a les gagnants et les perdants », « Il y a les gros poissons et ceux qui se font manger ». Réclamer son dû contre l’injustice est une chose, mais entretenir en soi une guerre est autre chose. Saint Paul conseille de ne pas cuire notre cœur dans la sauce acide du tracas : « n’entretenez aucun souci » (Ph 4,6, trad. de Jérusalem). Au moment où je crois me sauver, ne suis-je pas en train de me perdre ? Jérémie relativise nos citadelles intérieures : « Oui le Seigneur méprise ton système de sécurité ; ce n’est pas ainsi que tu réussiras. » (Jr 2,37, trad. TOB). Finalement, mon « système de sécurité » me laisse-t-il en paix ? Comment réussir ma vie ?

Jésus initie une piste de salut en proclamant : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés. » Ne jugez pas, confiez cela à Dieu (Hb 10,30). Ne mettez pas la main sur le fruit de l’arbre du bien et du mal, car vous n’en avez pas la connaissance parfaite. Ne prenez pas la position flatteuse de juge pour jeter des pierres sur la tête du prochain. Ne jugez pas et vous perdrez l’habitude de vous juger vous-même. Vous ne serez pas gênés par les mouches du jugement qui pondent dans vos yeux. N’enfermez pas les autres dans les cercles étriqués de vos condamnations, car ces vautours, qui tournent en cercle autour de votre tête, vous dévorent.

Le passif de l’expression « vous ne serez pas jugés » indique qu’il faut s’en remettre au jugement de Dieu pour vivre dans la paix. Nous retrouvons alors une vieille vertu chrétienne, la garde du cœur (en grec « nêpsis ») : c’est une vigilance qui veille à la porte de notre cœur pour séparer ce qui peut entrer et ce qui, étant toxique, doit être refoulé hors de nous. Cette attention à soi accomplit le commandement : « Fais bien attention à toi ! Veille attentivement sur toi-même tous les jours de ta vie » (Dt 4,9). Se rendre attentif fait découvrir le monde sous un autre jour, dans la lumière de Dieu.

« Donnez, et l’on vous donnera. » Cette attitude démolit nos « systèmes de sécurité. » Donner sans accaparer, c’est ce que fit Booz, dans le Livre de Ruth, qui nourrit une étrangère. Booz versa lui-même de quoi manger dans le tablier de Ruth : « Il lui dit alors : « Présente le châle que tu portes et tiens-le bien. » Elle le tint donc ; il mesura six mesures d’orge et l’aida à s’en charger. » (Rt 3,15). Ruth, qui donna sa confiance à sa belle-mère Noémi et au Dieu d’Israël, reçut en retour un avenir sous la forme de cet orge versé dans le pan de son vêtement… Ce qui est terrestre monte vers le Ciel : ce don d’orge eut une fécondité céleste, puisque Booz épousa Ruth qui donna naissance à Obed, le grand-père du roi David (Rt 4,17). L’évangéliste Matthieu n’oublie pas de mentionner Ruth (Mt 1,5) dans les ancêtres de Jésus ; notre Dieu porte dans Sa chair l’histoire de ce don. Cette largesse du don agrandit le corps de Dieu sur la terre.

La mesure de mon agir exprime ce que je suis, c’est-à-dire un Fils, une Fille du Père : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. » Ma mesure, c’est ma vie. Et, c’est, dans ce que je suis, que Dieu verse sa farine. C’est cela réussir : ma vie se remplit d’abondance divine : « c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ». Le « pan de votre vêtement » traduit une expression grecque (« ton kolpon », v.38) qui désigne un creux comme un golfe dans les terres, comme l’utérus dans le corps d’une femme, comme le pli du vêtement replié pour recevoir un don. Penchons vers le Seigneur notre poitrine pour qu’elle se creuse. En retour du don, nous recevrons un autre don, une mesure « débordante » comme l’amour de Dieu qui est une farine guérissante qui accroit le don et nous rend capables de partager.

Vincent REIFFSTECK.   vincent.reiffsteck@wanadoo.fr

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