Méditation : La voie de la prière (No 167)

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Évangile du Samedi 26 mars 2022 – 3e semaine de Carême (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« Le publicain était devenu un homme juste, plutôt que l’autre » Lc 18, 29-14

En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : “Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.” Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !” Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »

Méditation

L’expression de Voltaire, “Jean qui rit, Jean qui pleure”, est devenue un symbole pour le théâtre. Pour un chrétien, nous pourrions créer cette nouvelle expression : “Jean pharisien, Jean publicain”. Les deux montent vers le Temple, nous dit l’Évangile d’aujourd’hui, et cherchent Dieu.

Ces deux personnages de notre théâtre intérieur ou de notre prière nous décrivent deux attitudes présentes en nous et, à première vue, contradictoires. S’il est vrai que les deux commencent en disant “mon Dieu”, le premier, le pharisien, semble prier sans Dieu tandis que le deuxième, le pharisien, ne peut se tenir qu’à distance de Dieu.

Le pharisien semble prier sans Dieu, car si nous écoutons sa prière, elle ne concerne pas Dieu mais Lui-même. L’expression “je ne suis pas comme” rappelle trop bien cette expression de la Genèse où l’humain veut “être comme un dieu”. Cette tendance en nous de vouloir “être comme” ou de “ne pas vouloir être comme” nous place toujours dans une disparition de nous-mêmes au profit d’une mise en comparaison de nous-mêmes avec les autres, et même avec Dieu. Nous vivons ainsi non pas ancrés dans notre identité véritable mais dans la quête complètement illusoire d’être “un A(a)utre”. Et j’écris ici aussi le “A” majuscule pour accentuer que vouloir être un autre signifie toujours se mettre à la place de Dieu en refusant le don unique de Dieu que nous sommes.

Nous comprendrons donc que, dans cette scène de prière, celle-ci semble vide car ni Dieu ni le pharisien n’existent. Le “mon Dieu” est un mot fantôme où la personne perd le chemin d’elle-même et de Dieu. Malheureusement, notre prière peut devenir (ou est souvent) pharisienne quand, au coeur même de notre temple, nous continuons à juger et à condamner les autres et nous nous proclamons meilleurs, plus justes que “les autres hommes”. Nous sommes alors dans la glorification de nous-mêmes et non de Celle de Dieu. Nous nous prions à partir d’un “être-comme”, devenant un véritable personnage de théâtre.

Puis, il y en nous le publicain. Il n’est pas “debout” dans sa superbe mais il “se (tient) à distance et (n’ose) même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se (frappe) la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !”” Le publicain a véritablement une relation avec Dieu, Dieu existe pour lui, car, au coeur de cette rencontre, non seulement voit-il Dieu mais il se voit lui-même. Il saisit intérieurement qu’entre Dieu et lui existe toute la distance de la créature face à Dieu et, plus encore, toute la distance entre la laideur du mal qui l’habite avec sa haine et la beauté de Celui qui n’est qu’Amour. La distance qu’il y a entre lui et Dieu devient alors un espace d’humilité qui permet à Dieu de s’approcher. Entre Dieu et lui s’ouvre une pauvreté ouverte, et cette pauvreté est espace pour Dieu.

Cette humilité et cette pauvreté sont prière. Elle sont une position amoureuse d’être envers Celui qui Seul suffit et qui Seul sauve. La réponse de Jésus accentue cette réalité : “quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre”. Si humilité et pauvreté nous disposent intérieurement, Seul Dieu peut nous faire “redescendre dans notre maison”, en ce sanctuaire en nous où Dieu se tient, où Il habite. Cette descente intérieure, de demeure en demeure dirait saint Thérèse d’Avila, va nous conduire jusqu’au coeur de notre être et jusqu’au coeur de la Trinité.

Entre le pharisien en nous, maître de son chemin et de sa vie, et le publicain qui, si pauvre, ne peut que compter sur Dieu, nous avons continuellement un choix intérieur à faire. Toutefois, il est dangereux de ne pas voir dans le texte que le pharisien lui aussi cherche le chemin vers Dieu et la rencontre avec Dieu. À ce titre, son besoin et son désir “d’être-comme” traduisent une profonde blessure en lui, car cette blessure lui a fait croire qu’il devait être un autre pour être aimé et reconnu. Ce pharisien incarne cette “pauvreté” en nous que nous refusons et dont le refus nous empêche de nous “frapper la poitrine”, comme le publicain. Le publicain, s’il se pose en nous contre le pharisien, devient ce dernier, un homme qui juge les autres.

En ce sens, les deux doivent apprendre à marcher ensemble vers “mon Dieu”. Le pharisien porte en lui une part de nous, une force de vie que nous portons, car n’est-il pas vrai qu’il se tient “debout” ! Nous sommes appelés à accueillir tout à la fois nos richesses (pharisien) et nos pauvretés (publicain) afin d’être auprès de Dieu tout entiers et reconnaissants devant Lui.

Ces paroles de Jésus ne peuvent être de juger le pharisien à partir du publicain, car nous ferions ce qu’Il met en lumière chez le pharisien; nous glisserions alors dans la bouche du publicain ces paroles : “je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont orgueilleux, riches, amoureux d’eux-mêmes –, ou encore comme ce pharisien”. J’insiste donc, nous devons bien veiller en nous à ne pas tomber dans le jugement et la condamnation de notre publicain envers notre pharisien. Sinon, il sera alors si facile de déprécier tous les dons que nous portons et de nous effacer nous-mêmes. Il y a un fort danger d’être devant Dieu seulement comme un publicain, car nous risquons doucement d’entrer dans le mépris de nous-mêmes et de la richesse des autres; ce qui ne serait guère mieux que notre glorification pharisienne.

La prière est vraiment le chemin de rencontre en nous de notre pharisien et de notre publicain, afin que, s’entraidant, ils puissent “redescendre unis dans la maison” et vivre en Présence de Dieu. Cette union donne de pouvoir reconnaître et aimer en nous nos richesses et nos pauvretés, et enfin prier…

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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