Méditation quotidienne du mercredi 22 février : Les cendres du mirage (No 157 – série 2022 – 2023)

Image par Ralf Kunze de Pixabay

Évangile du Mercredi 22 février 2023 – Mercredi des cendres (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » Mt 6, 1-6, 16-18

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »

Méditation

Charité, prière et jeûne qui ramènent à l’essentiel et désenflent dans une pudeur qui nous est de plus en plus étrangère. En cette époque narcissique qui se mire elle-même jusqu’à la noyade, s’amplifie en avalant les selfies et les influenceurs, j’y puise plus qu’une parenté avec les hypocrites dénoncés par Jésus. Être admirable, quel chemin d’existence pour plusieurs d’entre nous! Plus justement et plus terriblement encore, « être digne d’admiration », sortir de soi et devenir objet pour s’approprier une dignité, une verticalité, même vacillante, même propriété du regard des autres. Qui se rappelle que cette expression, « digne d’admiration », se rapportait aux objets dans la bouche d’un Cicéron ou aux chef-d ’œuvres glorieux dans les fiefs et églises du XIe siècle ?

Face à la montagne aux cimes aussi enneigées que fantasmées qui s’est érigée au beau milieu de notre plaine intérieure, combien sommes-nous à être partis à son ascension, la conquête au cœur ? Du solide et l’altitude, tout le contraire des cendres. Que d’efforts déployés hors de soi, les dents serrées, s’agrippant à l’extériorité ? Que d’années accrochés à la paroi extérieure à soi, cherchant son oxygène, alourdis de hauts faits et de suffisance, de bouées de sauvetage alors que l’eau manquait. Tôt ou tard, le vertige de notre propre spectacle saisit. Une tristesse pour ce don du corps et de l’âme jusqu’à l’épuisement, de l’amertume pour le zèle et la discipline exigées d’une prière sans joie, de la honte pour toutes ces privations jusqu’à avoir faim d’un autre en soi. À l’assaut de l’idéal, nous nous découvrons, dans le regard de l’Autre, mirage et hypocrisie. Qui se rappelle qu’une hypocrisie était un rôle sur une scène antique dont les Athéniens raffolaient ? Imitation, dissimulation, insincérité, autant de tectoniques qui déplacent l’être dans le faire et l’y fige, l’y déguise. Le monde entier est une scène nous rappelle Shakespeare.

Le rideau tombé, le spectacle terminé, les projecteurs s’éteignent, la descente opère. Descendre une montagne de nuit n’est certainement pas une mince affaire. Une première lueur jaillit au détour. Pour certains d’entre nous, ce sera celle du creuset d’une charité de feu. Donner sa vie en pleine lumière et sans retour, récoltant dans le secret, l’agapê d’une mère d’un enfant criminalisé ou d’un religieux au sein d’une communauté abusée. Inimitable. À toute allure dans la descente en soi, certains vivront la prière comme une poussée dans le vide, délivrés par un Dieu réfractaire à toute pratique réglée et méritante. Un Dieu dont l’impuissance et les braises nous font étonnement, force et incapacité de dissimuler un cœur incendié. Au bas de la pente dévalée où les débris d’idéaux s’amoncellent, d’autres trébucheront sur leurs pauvretés et leurs faims. Ce n’est que dans notre abaissement que l’abondance et le rassasiement se révèlent. Et c’est dans les cendres que se cueille la sincérité, ce surcroît d’humanité, ce secret de l’intime de notre vérité. La sincérité c’est le consentement au don de Dieu que nous sommes, lui permettant d’être bon à travers soi. C’est le oui de la joie intarissable qu’il nous rend depuis notre enfantement, avant que les montagnes ne s’affermissent et que les collines n’existent (Prov 8.25). La sincérité est la condition même de l’amour, elle est donc condition véritable de notre identité profonde et démasquée. Sinon, nous ne sommes qu’un personnage juché sur une montagne fictive, condamné à répéter les mêmes mises en scène d’un faux salut. Après Narcisse, Sisyphe n’est jamais très loin.

Le Carême est versant, descente et temps. Il est espace pour savourer, la cendre au front, la joie de celui et de celles qui savent déjà que l’amour sauve. En ce mercredi, où la sincérité nous attend sur un prie Dieu, accueillons ce temps privilégié de la joie spirituelle et affichons une face de carême joyeuse. Une face comme le visage sale de l’enfant qu’on débarbouille de la poussière encore collée, la face comme le visage digne de l’enfant admirablement aimé, la sainte face.

Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)

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