Méditation : La mort des sacrifices (No 157)

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Évangile du Mercredi 16 mars 2022 – 2e semaine de Carême (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« Ils le condamneront à mort » Mt 20, 17-28

En ce temps-là, Jésus, montant à Jérusalem, prit à part les Douze disciples et, en chemin, il leur dit : « Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes, ils le condamneront à mort et le livreront aux nations païennes pour qu’elles se moquent de lui, le flagellent et le crucifient ; le troisième jour, il ressuscitera. »
Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de Jésus avec ses fils Jacques et Jean, et elle se prosterna pour lui faire une demande. Jésus lui dit : « Que veux-tu ? » Elle répondit : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. » Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? » Ils lui disent : « Nous le pouvons. » Il leur dit : « Ma coupe, vous la boirez ; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé par mon Père. »
Les dix autres, qui avaient entendu, s’indignèrent contre les deux frères. Jésus les appela et dit : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

Méditation

Aujourd’hui, Jésus monte avec nous à Jérusalem. Ce chemin vers la ville sainte symbolise pour nous le chemin religieux, avec toutes ses aspirations, ses grandeurs, ses limites, ses combats, … Ce n’est pas par hasard que c’est à Jérusalem même que Jésus doit mourir, au lieu même où, de tout temps, les juifs ont prié Dieu et lui ont rendu gloire.

Jésus, sur ce chemin, comme avec ses disciples, nous “prend à part”, car ce qu’Il a à nous dire est important. Jérusalem, cette ville fortifiée avec son grand temple de pierres, va être détruite symboliquement et remplacer, grâce à la Passion et Résurrection de Jésus, par le temple de sa Chair, de son Corps, d’une humanité nouvelle. Il est Lui le véritable temple de Dieu, et toute l’humanité avec Lui. Pour ce faire, Il nous mettra en pleine vue que ce temple humain et divin est, depuis l’origine du monde, assiégé. Il nous montrera que, malheureusement, les “grands prêtres” et les “scribes” de ce temple de pierres font partie de ceux qui vont le livrer, livrer le Fils de Dieu et le Fils de l’Homme (Dieu et humain livrés).

Il annonce pour la troisième fois sa Passion. Mais, comme les disciples, il nous est bien difficile d’accueillir cette annonce ? Car cette annonce révèle notre propre violence, même celle des institutions religieuses, violence commune fondée sur le mal qui nous habite et sur la sorte de logique ou d’exigence interne de toujours sacrifier, de mettre à mort constamment l’humain… et le divin. Cette logique n’est pas celle de l’Amour mais de la haine, selon que le mal subi sera le mal commis. Un jour, chacun.e de nous a été victime du mal qu’un autre a subi et qu’il commet maintenant à notre endroit. Nous sommes sa victime, car, étouffé par le mal et sa souffrance, il croit inconsciemment que sacrifier l’autre à la même souffrance va le soulager, pour ne pas dire le sauver. Le mal ne connaît que la pratique sacrificielle de l’A(a)utre. Cette pratique nous continuons à la vivre en Église, spécialement au coeur de cette crise du cléricalisme, au coeur de nos temples de pierres et de notre Église emmurée, et ce, sous la forme d’abus de toute sorte où des humains sont sacrifiés, au nom de Dieu (prétendument), pour en sauver d’autres du mal qui les habite ? Cette “chute de Jérusalem” est une grâce de la Passion que Jésus annonce à ses disciples de tous les temps !

Jésus en mourant sur la Croix brise tous nos faux systèmes de salut ou nos prétentions à nous sauver nous-mêmes par nos violences sacrificielles où nous transmettons à l’autre le mal que nous portons, comme si faire des victimes pouvaient nous libérer de notre propre victimisation. La Passion de Jésus est une onde de choc dans nos institutions mais, spécialement, dans le temple intérieur que nous sommes où, à partir de notre tombeau de pierres (du mal qui est en nous), nous avons construit des rituels sacrificiels qui marquent chacune de nos vies : dépendances de toute sorte, abus, toute-puissance et domination sur l’autre, abaissement de l’autre pour se grandir, etc. Nous avons une imagination féroce pour trouver des façons de blesser l’autre par manque de courage d’entrer avec Jésus dans notre Jérusalem de pierres. Nous et la société que nous avons bâti avec ses institutions avons sacralisé notre justice sacrificielle et l’avons constituée en système. Depuis trop longtemps, comme nous le disait le texte d’hier, nous posons nos fardeaux de haine sur les épaules des autres.

Avec la Passion, surviendra ce que Jésus a dit à la samaritaine : “Croix-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. (…) Mais l’heure vient -et c’est maintenant- où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l’esprit et la vérité” (Jn 4, 21. 23). Tous les temples bâtis de nos haines où s’y célèbrent nos sacrifices humains et divins seront détruits pour que l’humain, le véritable sanctuaire du Dieu vivant, puisse être reconstruit en trois jours lors de la Résurrection.

Jésus ne veut plus que nous construisions des temples à sa gloire mais que nous donnions à chaque humain tout ce qu’il a besoin pour devenir le temple de Dieu. Seul ce temple façonné d’humanité et de divinité, de chair et de ciel, peut être le lieu de l’adoration du Père en esprit et en vérité.

Le Père ne veut pas nos sacrifices mais la miséricorde, celle d’un Amour entier pour l’A(a)utre. Mais pour bien comprendre cette Vérité, les disciples, comme nous, auront à contempler dans toutes les Jérusalem du monde et en nous “l’homme des douleurs”, le Christ, celui-là même qui sera livré, condamné, bafoué, flagellé et mis en croix. Ce n’est que, par cette contemplation, que nous prendrons conscience des violences qui nous habitent et de toutes les personnes que, chaque jour, nous sacrifions, à ces mêmes violences et à nos justices destructrices.

Nous préférons la recherche des premières places, des adulations, des glorifications, des toute-puissances, des dominations… que l’humble mise à nu offerte par la Passion de nos indigences, de notre péché, de notre mal… afin de nous en libérer. Nous cherchons bien plus facilement les triomphes et la réussite, qu’importe le prix que les autres payeront pour que nous y arrivions, que d’accepter, comme nous dit le texte, d’être “l’esclave ou le serviteur” de toutes et de tous et de “donner sa vie en rançon pour la multitude”.

Ce passage vécu et demandé par Jésus est de cesser de “sacrificier” l’A(a)utre pour notre salut (prétendu) pour passer au don de soi et de sa vie par Amour. Cette pâques est la seule qui peut désamorcer le scandale de la violence et de ses rituels sacrificiels qui traversent l’humanité et habitent nos religions.

Le Christ n’est pas venu bâtir une religion et élever des murs de pierres, même s’il s’agit de nos temples ou de nos églises, mais de libérer l’humain de tous les tombeaux de pierres qui l’habitent et d’en faire un temple de chair, demeure du Très-Haut. Il est venu nous apprendre à bâtir de l’humain en y incluant le levain du Divin, lien d’Amour qui unit. Il a mis à mort nos sacrifices pour que triomphe la Vie

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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