Évangile du Mardi 14 février 2023 – Saints Cyrille et Méthode – 6e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Prenez garde au levain des pharisiens et au levain d’Hérode ! » Mc 8, 14-21
En ce temps-là, les disciples avaient oublié d’emporter des pains ; ils n’avaient qu’un seul pain avec eux dans la barque. Or Jésus leur faisait cette recommandation : « Attention ! Prenez garde au levain des pharisiens et au levain d’Hérode ! » Mais ils discutaient entre eux sur ce manque de pains. Jésus s’en rend compte et leur dit : « Pourquoi discutez- vous sur ce manque de pains ? Vous ne saisissez pas ? Vous ne comprenez pas encore ? Vous avez le cœur endurci ? Vous avez des yeux et vous ne voyez pas, vous avez des oreilles et vous n’entendez pas ! Vous ne vous rappelez pas ? Quand j’ai rompu les cinq pains pour cinq mille personnes, combien avez-vous ramassé de paniers pleins de morceaux ? » Ils lui répondirent : « Douze. – Et quand j’en ai rompu sept pour quatre mille, combien avez-vous rempli de corbeilles en ramassant les morceaux ? » Ils lui répondirent : « Sept. » Il leur disait : « Vous ne comprenez pas encore ? »
Méditation
Quelle sera la Bonne Nouvelle, celle « qui nous veut du bien », que le passage de l’Évangile d’aujourd’hui désire nous transmettre ? Voilà la question que je me suis posée en méditant ces versets de St Marc. Cette discussion un peu triviale des disciples avec Jésus sur le « manque de pains », a-t -elle vraiment une bonne nouvelle à nous annoncer ?
Peut-être que cet Évangile dit-il quelque chose de nous ?
Mais tout d’abord, s’agit-il simplement d’une discussion sur le thème du pain ? Bien sûr que non ! Il se trouve que les disciples avaient oublié d’emporter du pain pour la suite de leur voyage, mais alors qu’ils discutent entre eux de cette question pratique, Jésus, Lui, désire ardemment leur dire quelque chose d’essentiel. « Attention ! Prenez garde au levain des pharisiens et au levain d’Hérode ! » Cette Parole de Jésus fait certainement allusion à ce qu’Il a ressenti, Lui, dans le moment qui précède : sa mise à l’épreuve de la part des pharisiens cherchant à obtenir de Lui un signe venant du ciel (cf. Évangile médité hier, Mc 8, 11-13).
Or, ces mots de Jésus semblent se perdre, s’étouffer même dans la fameuse discussion des disciples entre eux au sujet des pains oubliés ! Une traduction différente de ce passage dit même que les disciples semblent associer l’expression « levain » avec les fameux pains dont ils parlent. Quelle confusion !
Cet Évangile dit-il quelque chose de nous ? Je pense bien que oui ! Combien de fois, même au cœur de la prière, d’un temps tranquille donné à Dieu pour l’écouter, nos distractions, les mille pensées qui dès le matin nous assaillent, notre peu de présence à sa Présence et à ce que Lui désire nous dire, étouffent rapidement son souffle ! Et puis, le reste de la journée, notre attention devient si vite prisonnière de futilités. Nous nous mettons à discuter pour des broutilles, nous nous accrochons mutuellement pour des choses qui n’en valent sincèrement pas la peine. Et, nous dit l’Évangile, notre cœur s’endurcit, devient peu à peu sourd et nos yeux aveugles à ce que, au milieu de la vie ordinaire, l’Esprit désire nous murmurer.
« Aujourd’hui si vous écoutiez sa voix! “N’endurcissez pas vos cœurs comme à Meriba, comme au jour de Massa dans le désert, où vos pères m’éprouvaient, me tentaient, alors qu’ils me voyaient agir! Toujours ces cœurs errants, ces gens-là n’ont pas connu mes voies. “ (Psaume 95,7-10) Ce n’est pas un hasard si la liturgie des heures offre ce psaume comme invitatoire au tout début de la prière du jour.
J’ai été frappée pour la première fois par les nombreuses questions de Jésus à ses disciples, les unes à la suite des autres, une fois qu’Il s’est rendu compte de leur confusion. Il y en a 6 de suite, puis encore 2 autres dans ce court passage ! « Pourquoi discutez- vous sur ce manque de pains ? Vous ne saisissez pas ? Vous ne comprenez pas encore ? Vous avez le cœur endurci ? Vous avez des yeux et vous ne voyez pas, vous avez des oreilles et vous n’entendez pas ! Vous ne vous rappelez pas ? » En général, Jésus n’en pose pas autant à ses interlocuteurs. Souvent, une seule « question de vie » suffit pour rejoindre le cœur de la personne qui vient à sa rencontre. « Que veux- tu que je fasse pour toi ? » « Pourquoi pleures-tu ? » … Alors cette avalanche de questions semble nous dire quelque chose d’important. Il y a comme de l’agacement ou même un peu d’exaspération face à leur entendement si confus ou trop « terre à terre ».
Jésus désire les mettre en garde contre, ce qu’Il appelle, le « levain des pharisiens », et eux sont … ailleurs ! Dialogue de sourds qui le met réellement … en colère. Dans l’Évangile de Lc 12,1 on comprend que le « levain des pharisiens » dont il faut se méfier, c’est l’hypocrisie. Il nous dit : « Ouvrez l’œil », soyez attentifs et prenez garde à cette attitude consistant à dissimuler ses intentions véritables, à affecter des sentiments, des opinions, des vertus qu’on n’a pas, pour se présenter sous un jour favorable et inspirer confiance (définition du mot « hypocrisie »).
Voilà le message qui brûlait le cœur de Jésus après sa énième rencontre et mise à l’épreuve avec les pharisiens. Et à ses plus proches amis, à ses compagnons de route, Il désire le partager … mais ne trouve qu’incompréhension, endurcissement. Il reprend des paroles des prophètes, celles de Jérémie et d’Ézéchiel : « La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes : Fils d’homme, tu habites au milieu d’une engeance de rebelles qui ont des yeux pour voir et ne voient point, des oreilles pour entendre et n’entendent point, car c’est une engeance de rebelles. » (Ez 12,1-2)
Jésus désire nous partager combien est essentiel que nous ne nous cachions pas derrière un masque, « jouant un rôle » qui est loin de notre vérité, de notre véritable identité. L’origine du mot « hypocrisie » en grec signifie précisément cela : action de jouer un rôle. Avoir des yeux et ne pas voir, avoir des oreilles et ne pas entendre, ce serait effectivement « vivre hors de de notre être profond » et devenir peu à peu sourd à la Voix intérieure qui nous habite.
Dans le passage que je viens de citer plus haut, le prophète Ézéchiel est invité par Dieu à jouer un mime devant le peuple rebelle, celui de l’exilé. « Et toi, fils d’homme, fais-toi un bagage d’exilé et pars en exil sous leurs yeux. Tu partiras du lieu où tu te trouves vers un autre lieu, à leurs yeux. Peut-être reconnaîtront-ils qu’ils sont une engeance de rebelles. Tu arrangeras tes affaires comme un bagage d’exilé, de jour, à leurs yeux. Et toi, tu sortiras le soir, à leurs yeux, comme sortent les exilés. A leurs yeux, fais un trou dans le mur, par où tu sortiras. A leurs yeux, tu chargeras ton ballot sur l’épaule et tu sortiras dans l’obscurité ; tu te couvriras le visage pour ne pas voir le pays, car j’ai fait de toi un présage pour la maison d’Israël. » (Ez 12,3-6) Dieu fait de lui un présage, le peuple ira en déportation.
N’est-il pas vrai que lorsque nous vivons « hors de notre être profond », inhabitués ou déshabitués à l’écoute du cœur, à la Parole qui ne cesse d’illuminer nos pas, nous vivons comme des exilés ? Nous sommes comme « hors de notre terre sacrée », migrants déracinés, cœurs errants … Notre vie quotidienne semble alors ne plus qu’être ballotée entre mille suggestions, paroles superficielles ou blessantes, critiques négatives, murmurations, et … notre cœur s’endurcit.
Aujourd’hui Jésus nous redit avec toute sa compassion de frère en humanité : « Attention ! Prends garde au levain des pharisiens. Ah, si tu écoutais ma voix … pour revenir continuellement à ma Lumière et à ta vérité. C’est là seulement que tu trouveras le repos de ton âme. Tu n’es pas condamné à vivre en exilé, tu es un fils libre. »
Laurence Vasseur (vasseurlaurence@hotmail.com)
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