Méditation quotidienne du mercredi 8 février : Le dehors et le dedans (No 143 – série 2022-2023)

Image par James Henry de Pixabay

Évangile du Mercredi 8 février 2023 – 5e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur » Mc 7, 14-23

En ce temps-là, appelant de nouveau la foule, Jésus lui disait : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »
Quand il eut quitté la foule pour rentrer à la maison, ses disciples l’interrogeaient sur cette parabole. Alors il leur dit : « Êtes-vous donc sans intelligence, vous aussi ? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans l’homme, en venant du dehors, ne peut pas le rendre impur, parce que cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, pour être éliminé ? » C’est ainsi que Jésus déclarait purs tous les aliments.
Il leur dit encore : « Ce qui sort de l’homme, c’est cela qui le rend impur. Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »

Méditation

En accueillant la Parole ce matin, je vous confesse mon attachement pour l’évangile de Marc. Décapant, déroutant, subversif, renvoyant le lecteur à lui-même, à sa propre parole. Lire Marc, c’est prendre conscience du caractère agissant de notre propre parole dans le monde, fut-elle tenue, bafouée, donnée, prise, ravalée. Avant la sédimentation des couches littéraires de la tradition, avant les corrections lucaniennes, avant l’élégance et le vernis matthéens, il y a eu les paroles scandaleuses du Jésus de Marc. Celui qui a perdu la tête, celui qui a guéri sans joie, celui qui n’a cure de ses proches. Et c’est bien Marc qui, au matin de la résurrection souligne l’effroi silencieux qui enveloppa les femmes ainsi que la lâcheté des disciples qui se sont dérobés au maître. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur… (Mc 16.8). C’est sur cette non parole, sur cette annonce avortée que se termine l’évangile. Une parole tue, une parole trahie, la peur et l’asphyxie. Au moment crucial, Dieu aura été le seul à tenir et à réveiller la Parole. Évangile des courageux, des anonymes, Marc porte la foi des catacombes et d’une Église sous-terraine, celle qui s’enracine dans le Très-Bas et fissure lorsqu’elle remonte à la surface.

Moins de quarante ans après la mise à mort de Jésus le Nazarénien, les premiers chrétiens en témoignent : rien de mal, rien de sale ne peut survenir du dehors, c’est-à-dire du créé. Avec Marc, ils éprouvent encore ce qui salit l’humanité malgré la venue du Christ. L’oppression, les idéologies, l’injustice, la tyrannie ne proviennent pas de l’extérieur malgré qu’elles soient imposées. En marge d’un coeur rétréci, elles proviennent de l’intérieur, fomentées dans la raison, s’adressant aux ventres. C’est par la bouche des hommes que les discours jugent, les paroles condamnent, la raison encarcane une liberté fragile et méprisée. C’est par la bouche des femmes que la complicité silencieuse opère, que le déni violente et que la culpabilité dévore des enfances entières. C’est par la bouche de nous tous, que nous érigeons, nourrissons et participons à des systèmes et à des agirs qui chérissent l’inégalité, entachent la dignité et paralysent la vie. Il n’y a rien d’extérieur à l’humanité qui passe en elle et qui ait le pouvoir de la salir. Accueillons cette parole comme un mantra, le Christ la répètera à trois reprises : ce qui sort de l’humanité, c’est ce qui salit l’humanité. Meurtre, prostitution, fraude, blasphème, orgueil, rien de tous ces tourments n’existe par lui-même dans la création. Rien de ce qui provient de la création ne désunit, dissimule, rend confus ou ne salit. La puissance du créé n’est pas pouvoir sur mais pour.

Le dehors nous traverse, comme les aliments que nous ingérons. Notre dedans traverse le dehors comme ce que nous alimentons autour de nous, en nos relations, en nos milieux. De tout notre être, à partir de chacune de nos molécules, nous participons au créé et sommes parties prenantes de l’univers qui n’est qu’énergie et un peu matière. En nous concevant tissés dans la substance même du monde fini et infini, nos propos anonymes et ordinaires, prennent dès lors une valeur immense, aussi destructrice que réductrice mais aussi féconde que créatrice. Il n’y a pas d’étanchéité entre le monde et soi. Dans l’Énergie humaine, Teilhard de Chardin affirme : « L’amour est la plus universelle, la plus formidable et la plus mystérieuse des énergies cosmiques ». Chaque guerre est donc liée à ma haine quotidienne, chaque condamnation à mon indifférence. Mais chacune de mes actions justes relève mon prochain, la clarté de ma parole restitue l’humanité. Le don de Dieu que je laisse s’écouler en moi, par mes paroles, « amorise » le monde, le rend à l’amour, à sa cohérence avec l’univers où le Christ est le point de convergence et de synthèse pour reprendre Teilhard de Chardin. Se pencher vers son coeur, sans souci de réussite, respirer la confiance d’un autre monde possible, tectonique et fantastique, qui parfois affleure malgré la peur. M’adresser aux âmes-cœurs en cette vie crucifiante, parler depuis l’intérieur sans profaner l’extérieur, c’est cela être parole. Ne pas se taire ni se terrer pour demeurer vivifiés, pour ne plus salir car nous ne sommes pas des êtres humains vivant une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels – et j’ajouterai trinitaires – vivant une expérience humaine nous rappelle Teilhard de Chardin.

Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)

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