Méditation : L’Eau de la Parole (No 129)

Évangile du Mercredi 16 février 2022 – 6e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« L’aveugle se trouva guéri, et il distinguait tout avec netteté » Mc 8, 22-26

En ce temps-là, Jésus et ses disciples arrivèrent à Bethsaïde. Des gens lui amènent un aveugle et le supplient de le toucher. Jésus prit l’aveugle par la main et le conduisit hors du village. Il lui mit de la salive sur les yeux et lui imposa les mains. Il lui demandait : « Aperçois-tu quelque chose ? » Levant les yeux, l’homme disait : « J’aperçois les gens : ils ressemblent à des arbres que je vois marcher. » Puis Jésus, de nouveau, imposa les mains sur les yeux de l’homme ; celui-ci se mit à voir normalement, il se trouva guéri, et il distinguait tout avec netteté. Jésus le renvoya dans sa maison en disant : « Ne rentre même pas dans le village. »

Méditation

L’évangile se situe à Bethsaïde. Cette ville est nommée sept fois dans les évangiles et, pour les chrétiens, elle est en fait célèbre, car nous dit l’évangéliste Jean (1, 44), “Philippe était de Bethsaïde, la ville d’André et de Pierre”. Cette ville a donc été vue comme la ville d’origine des apôtres et où Jésus a accompli de grands miracles, là où, d’une certaine façon, tout a commencé. Je crois que la réalité de cette ville éclaire l’importance du récit d’aujourd’hui, spécialement à la suite du texte d’hier.

Ce n’est sûrement pas par hasard, à la suite de l’avertissement de Jésus à ses disciples (“Ouvrez l’oeil, et gardez vous du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode” v. 15) et du reproche qu’Il leur fait (“Avez-vous donc l’esprit bouché, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre ?” v.18), que Jésus guérit un aveugle. Ce miracle prend un sens symbolique très fort pour les disciples qui, sûrement, restent remués par les paroles de Jésus à leur endroit.

Jésus les reconduit au lieu de l’appel de trois des premiers disciples (voir Jn 1, 43). L’appel est toujours dans nos vies un lieu d’arrachement, de conversion et de transformation du regard. Mais le reproche précédent de Jésus à ses disciples les a remis devant leur appel et le choix qu’ils ont fait au départ. Mais le levain des Pharisiens et le levain d’Hérode, avec tout ce qu’ils signifient d’attachement à eux-mêmes et au monde, sont encore actifs dans leurs coeurs, comme ils le sont sûrement dans les nôtres. Ouvrir l’oeil et veiller à la garde de notre coeur sont des éléments essentiels du marcher à la suite du Christ. Et si souvent, comme les hébreux sortis d’Égypte, la tentation de revenir en arrière, à nos certitudes, nos conforts et à nos habitudes d’autrefois est une tentation dont il est difficile de nous débarrasser.

Le fait que Jésus ramène tous les apôtres au village de trois des leurs et spécialement de Pierre, leur chef, est d’une pédagogie formidable. Ce retour nous amène, comme nous pouvons l’imaginer pour les disciples, à trois invitations fondamentales. La première est qu’il est toujours essentiel dans notre cheminement de nous replacer dans l’appel que nous avons reçu. Il est si facile que cet appel, avec toutes les sollicitations du monde, glisse doucement dans les profondeurs de notre mémoire… jusqu’à son oubli. N’est-ce pas ce que signifiait ces paroles de l’Esprit à l’Église d’Éphèse : “j’ai contre toi que tu as perdu ton d’amour d’antan” (Ap 2, 4). Il est si facile si nous n’ouvrons pas l’oeil et si nous ne veillons pas à ce que nous laissons entrer dans notre coeur de nous affadir (“si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens” Mt 5, 13). Jésus veut donc nous (leur) rappeler le feu qui, un jour, a embrasé nos (leurs) coeurs et nous (les) a mis sur la route. Nous avons besoin de retourner à l’essentiel de notre appel.

La deuxième invitation renvoie à une part qui serait complètement incompréhensible sans le contexte que nous venons de préciser. “Jésus prit l’aveugle par la main et le conduisit hors du village”. Non seulement l’a-t-il conduit hors du village mais il lui dira, après sa guérison, “ne rentre même pas dans le village”. Mais pourquoi cette étrange mise en scène ? Si ce n’est que Jésus leur dit et nous dit : “veille toujours à là où tu habites et sur quoi tu cherches à reposer ta tête”. Le chemin à la suite de Jésus est toujours la bascule d’un monde où nous comptions sur nous-mêmes en marchant seuls et en nous appuyant sur nos forces et les richesses de ce monde à un monde où Dieu est au centre. Il nous est difficile de laisser purifier notre coeur pour laisser toute la place à Dieu. C’est pourquoi en conduisant l’aveugle hors du village et en lui interdisant d’y retourner, il nous donne une clef essentielle : “consens à ton appel qui te conduit “hors” de ton monde d’hier pour te faire citoyen du Royaume de Dieu, avec ce que cela signifie d’arrachement à la vie d’autrefois pour une vie en Dieu”. Il me semble que c’est là l’étrange rituel de conduire cet aveugle “hors” du village et lui demander de ne plus y entrer, car tant que nous continuons à y entrer et à laisser ce monde entrer en nous, notre coeur est aveuglé par les levains des Pharisiens et d’Hérode.

Puis, il y a le miracle, la guérison de l’aveugle. Ce miracle d’arrachement et de désaveuglement ne peut survenir que si nous reposons nos yeux sur Jésus et, de nouveau, si nous laissons sa Parole nous libérer intérieurement et purifier notre coeur afin que nous puissions “voir”. La Parole qu’est le Fils est cette salive, cette eau qui dessille le coeur et qui ouvre nos yeux; ou ces mains qui, sur nous, au nom du Père, “s’imposent” de Lumière pour chasser nos ténèbres. Le miracle en nous prend toujours place au lieu de la Parole, en ce lieu où comme le Fils nous nous laissons engendrer en la Parole par le Père sous le souffle de l’Esprit. Comme à l’Annonciation, nous devons, comme Marie, consentir à cette Parole, pour que le Fils naisse en nous et que nous naissions en Lui et que, ainsi, nous devenions fils ou filles dans le Fils.

Dans le texte, Jésus aura à renouveler deux fois ce miracle afin que nous puissions enfin voir, comme s’il nous disait que notre désaveuglement se fera par étapes. La première fois, l’aveugle répond : ” j’aperçois les gens : ils ressemblent à des arbres que je vois marcher.” Cette réponse est magnifique et poétique. L’aveugle commence à voir la beauté de l’humain, et de l’incarnation du Royaume de Dieu qu’est l’humain. Comme l’écrivait Matthieu de cet humain-royaume, il “devient même un arbre, au point que les oiseux du ciel viennent s’abriter dans ses branches” (Mt 13, 32). Un humain qui abrite le ciel, qui abrite un autre Royaume, n’est-ce pas là la première conversion du regard ?! Et la grande dignité de l’être humain ?!

À la deuxième imposition d’Amour, le texte nous dit : “celui-ci se mit à voir normalement, il se trouva guéri, et il distinguait tout avec netteté”. La guérison de l’humain n’est pas une sorte de saut dans l’extraordinaire mais l’entrée dans la “normalité” de ce qu’est un être humain, à savoir un être de terre et de ciel et façonné, ainsi, pour vivre de chair et de Divin. Et c’est cela que Jésus nous promet et promet à ses disciples. La Parole de Jésus nous fait entrer dans ce mystère de notre humanité épousée par Dieu et, de là, il nous est possible de “distinguer tout avec netteté”. Devant le monde, nous ne vivons plus comme des aveugles mais, enfin, comme des humains qui voient Dieu dans la “netteté” de la foi. Tout est habité de Dieu et, spécialement, nous. Nous le voyons. Et notre coeur n’est plus encombré de toutes ces possessions du monde, car ils ne sont plus un voile sur nos yeux mais le lieu de la révélation du Tout Autre.

Aujourd’hui Jésus a guéri un aveugle et cette guérison a sûrement rejoint tous ses disciples présents. Laissons-nous à notre tour rejoindre par l’Eau de sa Parole et toucher par l’imposition de Lumière et d’Amour de ses mains !

Que Dieu soit béni !

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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